vendredi 20 juin 2014

Hommage à grand-père et grand-mère Rainot

Ce matin je pense à mes grands-parents paternels. Je  ne sais pas pourquoi...
Enfin si... Sûrement ce rayon de soleil matinal de juin qui couronne cet énorme tilleul ornant mon jardin d'une brume lumineuse alors que la fraîcheur de la nuit commence seulement à se dissiper et que les poules du voisin crétellent mollement.


Cela me rappelle cet énorme marronnier qui se dressait dans la basse-cour des grands-parents et ombrageait leur cour bitumée.
Et je me transporte 35 ans en arrière... Je pousse à nouveau le lourd portail vert qui grince sur ses gonds. J'aperçois d'abord les poules qui s'écartent sur mon passage et j'évite soigneusement les canards beaucoup moins craintifs et surtout plus agressifs  (mes mollets s'en souviennent).
Une petite bande d'herbe a survécu et longe l'enclos à charbon où grand-mère range les voitures à pédale, les trottinettes et le Polux à roulettes pour lesquels on se chamaille toujours avec les cousins.
Aujourd'hui les cousins ne sont pas là, je pourrais m'amuser sans problème mais c'est presque trop facile et, du coup, ces jouets ne m'intéressent pas.
Il faut dire que j'ai hâte de revoir grand-père et grand-mère. C'est ça le luxe des auteurs, leur imagination fertile les connecte quand ils le souhaitent avec le passé, les personnes disparues, les endroits détruits ou modifiés et tout redevient vivant et ne meurt jamais.
La grande maison, ancien corps de ferme cossu dont la partie droite est toujours composée de bâtiments aux lourdes portes de chêne, se dresse devant moi avec ses volets peints en vert rabattus sur un mur de pierres apparentes.
Les fenêtres sont ouvertes de bon matin. Je monte sur la large terrasse décorée de vieux tonneaux en bois, récupérateurs de pluie, et j'aperçois soudain grand-mère qui se penche par-dessus l'une des énormes jardinières aux magnifiques fuchsias décorant les appuis de fenêtres. Elle est en train de les arroser avec une cruche en céramique colorée. Elle a l'air ravie de me voir et me presse d'entrer. Abandonnant son arrosage, elle trottine jusqu'à la porte. Je tends la joue pour lui faire la bise, réflexe qu'elle n'a jamais eu, comme si elle rechignait à tout signe d'affection. Elle m'expédie deux ou trois bisous mal posés et brutaux en murmurant son gimmick habituel "Bon,bon aller..." et me pousse à m'installer sur ma chaise habituelle.
La cuisine est toute rutilante avec sa tomette rouge lustrée. Une grande table ronde recouverte d'une toile cirée à gros fruits se tient au milieu de la pièce. Sur le mur de gauche, en entrant, il y a la porte de la salle à manger puis un meuble  style années cinquante peint en écru brillant sur lequel trône un poste radio à galène derrière lequel sont classés les journaux des derniers jours. Puis la chaise de grand-père calée entre le meuble années cinquante et une grande armoire bahut dont la partie supérieure est un vaisselier à portes vitrées.
Cet emplacement est idéal  pour grand-père. Lorsqu'il fait sa sieste, il cale ses coudes sur le rebord de chacun des meubles qui l'encadrent. Ainsi il peut piquer tranquillement du nez après le déjeuner (et parfois après le petit déjeuner, car à cette époque de l'année il est au jardin très tôt et remonte vers neuf heures pour le casse-croûte).
Ma chaise à moi, est l'une des trois chaises en bois à l'assise tressée qui sont contre le mur de la cuisine faisant face à l'entrée. Quand je m'y assois, je sens les doux rayons du soleil matinal qui me caressent l'épaule à travers la fenêtre donnant sur le jardin derrière  la maison.  Ces rayons dessinent sur la nappe en toile cirée les mosaïques et arabesques des rideaux en dentelles qui décorent la fenêtre. Les rideaux sont si blancs qu'ont ne voit qu'un halo lumineux presque céleste et qu'on ne devine pas le jardin derrière.
Grand-mère me verse un verre de pom-pom et ouvre les battants du grand vaisselier pour en retirer une boite à gâteaux circulaire en fer style XIXème siècle. Elle soulève le couvercle et me propose de me servir en Roues d'Or et autres petits Lu. Son sourire bienveillant et son œil pétillant prouvent qu'elle est contente de voir ma tête de Mao (c'est comme ça qu'elle nomme les petits garçons un peu récalcitrants au caractère entier comme moi, ce qui était loin de me vexer dans une famille où le portrait de Mao Tsé-Toung, s'il n'ornait pas les murs, avait au moins sa place au fond du portefeuille).
Grand-mère ne sort pas de chez elle, ou très rarement. Aussi est elle ravie de me voir à chaque fois, car je lui apporte les nouvelles du monde extérieur. Bavard comme je suis, la conversation est toujours très riche et par moi elle apprend comment va le village, les derniers ragots, les nouvelles de la famille.
Bon, j'avoue ne pas toujours être respectueux des secrets des uns et des autres, mais grand-mère adore. Je suis son petit journal people à elle. Il n'est pas rare que grand-père interrompe ces joyeux babillages lorsqu'il remonte du jardin chargé de quelques outils ou d'un panier largement garni de pommes de terre nouvelles, de blettes, de salades et de haricots. Il dépose en général le panier sur le large évier en pierre, s'essuie le front de son immense mouchoir à carreaux en soulevant légèrement sa casquette du revers de son pouce puis le range d'un geste large dans son pantalon bleu, vestige de ses uniformes de l'EDF.

Grand-père et son profil Hitchcockien
Avant de faire la bise, il retire toujours sa casquette. Je sens sur sa joue la chique qu'il a calé maladroitement sur le coté et dont le jus a laissé une marque brunâtre au coin de ses lèvres. Heureusement l'odeur de son eau de Cologne du Mont Saint Michel mélangée à l'odeur du tabac donne un mélange pas désagréable du tout.
Mais aujourd'hui il ne se montre pas.
Ma grand-mère, voyant mon regard errer avec nostalgie sur le large évier et le poêle ancien sur lequel, pour une fois, rien ne mijote, devine que j'ai envie de voir grand-père. ll est à la cave en train de mettre le pom-pom en bouteille me dit-elle en replaçant avec coquetterie la barrette qui plaque ses cheveux gris sur sa tempe gauche. Elle me propose d'aller le voir et de remonter ensuite pour aller chercher les œufs au poulailler.

La maison comporte deux caves voûtées, l'une au-dessous d'un atelier qu'on doit traverser pour aller sur l'arrière de la maison, pièce interdite aux petits-enfants, l'autre au-dessous de la grange qui contient de vieilles charrettes et de vieilles bottes de paille et où il n' y a guère plus que les chats Tioumine et Sérifontaine qui y entrent encore.
Je me rends dans la première de ces caves. Je prends garde à la descente des degrés car ces vieilles marches usées sont assez hautes pour mes petites jambes et glissantes. Le plafond voûté vous arrive vite dans le front. Mes yeux mettent du temps à s'habituer à la pénombre mais je le vois enfin assis sur un petit tabouret que sa corpulence ne permet pas d'apercevoir. Il jette son œil bleu sur moi et son visage poupin s'éclaire.
Les enfants ont la capacité de capter le meilleur en chacun et, innocence ou choix délibéré, délaissent les aspects les plus sombres des gens qu'ils croisent. Je vois sur le visage de mon grand-père une grande bonté, un caractère jovial et serein et cela me rassure (même si je sais qu'il n'est pas parfait , qui l'est ?).
Il dépose dans un casier la bouteille qu'il vient de remplir au robinet du tonneau couché sur deux rangs de briques. La mise en bouteille du pom-pom est la dernière opération d'un long processus de préparation. Cette boisson à la pomme fermente durant plusieurs jours après mélange avec de la levure et de l'eau. Cela donne une boisson pétillante à mi chemin entre le cidre et le jus de pomme. Mes cousins, cousines et moi en raffolons. De vieilles bouteilles à bouchons mécaniques au verre vert opaque reçoivent cette boisson fermentée.


Grand-père essuie ses lèvres et crache sa chique dans son mouchoir avant de me faire la bise. Il me propose de lui tendre les bouteilles, ce qui lui évite de se lever à chaque fois, bien que, dans cette cave étroite, il n'ait qu'à tendre la main pour prendre une bouteille vide.
Je suis fier de l'aider, c'est l'essentiel. Comme quand toute la famille est mise à contribution pour ramasser les pommes de terre dès sept heures du matin et que oncles, tantes, cousins , cousines sont  réunis autour de lui et grand-mère pour déguster le bon pain frais et la charcutaille du père Douchin après avoir bien œuvré.
Une fois la dernière bouteille remplie, grand-père se redresse  péniblement et, replaçant ses bretelles sur sa chemisette à carreaux distendue par son embonpoint, il m'invite à remonter dans la cour.
Son pas est lent, son pas est lourd, ses gestes sont pesés et économes.
Lorsqu'on se retrouve dans la cour avec grand-mère, j'ai l'occasion de voir comme ces deux êtres sont différents : l'une petite et vive, l'autre grand et lent.
Grand-mère me kidnappe presque pour m'emmener dans la basse-cour dénicher les œufs. On passe sous le marronnier à fleurs rouges, on longe les tinettes desquelles quelques mouches émergent bien repues, puis on passe devant les niches à lapins où quelques gros spécimens nous regardent d'un œil inquiet.
Est-ce déjà l'heure de passer à la casserole ?
Mais on passe notre chemin et certains se grattent alors leurs longues oreilles d'un air soulagé.
Contre le long mur de pierres qui sépare du voisin, une fosse à fumier siège là, cernée de grosses pierres plates. Au fond à droite, lui aussi appuyé au mur du voisin, un cabanon formé de tôles grises abrite les nichoirs.
"Bon, bon, aller..." me presse ma grand-mère. L'endroit est sombre mais les toiles d'araignées sont rares. Rien ne résiste aux poules. Ni insectes, ni vers, ni rats !! Sur leur lit de paille je trouve quelques beaux gros œufs que je dépose avec précaution au fond du panier que tient grand-mère. Grand-mère ajoute quelques framboises en passant près du buisson de framboisiers.
Mais c'est déjà l'heure de les quitter. Il est bientôt midi.  Grand-mère va devoir cuisiner comme elle sait si bien le faire. Et pour grand-père l'heure de table est sacrée. Ce n'est pas grave. Je sais où ils sont et je reviendrai les voir régulièrement.
Ils sont là tout près dans ma mémoire et dans mon cœur  et il me suffit de fermer les yeux pour les revoir dans leur univers, dans leurs habitudes, dans leur paisible retraite.
Rien n'a changé.
Je retournerai les voir notamment pour leur raconter qu'ils m'ont inspiré les grands-parents de Pirouly dans les aventures des M and P's. Ça va bien les faire rire.
Demain, j'attaque une scène où grand-père va de nouveau apporter à Pirouly des informations nécessaires à l'élucidation du mystère. Eh oui, dans "le clown ne rit plus", grand-père joue encore les indics comme dans "le tombeau des moines". Et il ne sera pas rare de l'y croiser à l'occasion d'une promenade dans le village qu'il traversera de son pas débonnaire.
C'est mon hommage à mes grands-parents et le moyen pour moi de les retrouver en vie et de profiter encore un peu d'eux.
J'ai encore tant de choses à leur dire.


dimanche 1 juin 2014

Bannière "Mes semelles de vent"

Votre bannière

Sortie de "Mes semelles de vent" par Thierry Rainot




C'est toujours un jour spécial pour moi, le jour où je vous laisse découvrir mon travail.
Pour ce second livre, c'est encore plus spécial en cela qu'il vous dévoile un peu plus de moi (bien qu'à travers les aventures des M and P's le lecteur à l’œil affûté ait pu en découvrir déjà pas mal sur l'auteur qui se cache derrière les personnages).
Conseil pour les aventuriers qui s'intéresseraient à mes écrits : ce nouveau livre est à butiner. Il s'agit d'un recueil de textes, donc à lire autrement. Le mieux pour apprécier ce style est de déguster chaque texte comme quand on décide de déboucher une bouteille et de prendre un verre.
Choisissez le moment propice, laissez vous tomber dans un fauteuil moelleux un soir où le soleil commence à décliner et que les grillons commencent à enchanter le jardin ou bien dans une chaise longue à l'ombre d'un arbre bruissant de doux bourdonnements et de chants d'oiseaux, à moins que vous ne préfériez vous installer près de la porte-fenêtre alors que la pluie bat doucement les carreaux...
Puis libérez votre esprit et laissez vous portés par les mots.
Rêvez.
Voici un avant-goût:

L'HEURE SOMBRE

Installé dans une chaise en toile
A contempler les étoiles,
Je sens monter l'heure sombre,
Cette heure où les ombres s'allongent,
Où la fraîcheur tombe
Sur la terre encore chaude.
Le clocher du village voisin
Sonne dans le lointain,
J'entends nettement le grillon
Alors que s'assourdissent tous les sons.
A mesure que tombe la nuit,
Je sens mon cœur qui s'alourdit ;
Un chien hurle de désespoir,
La détresse rejoint l'air du soir,
Et la douceur de mes songes
S'évapore avec l'heure sombre.


Thierry RAINOT

samedi 24 mai 2014

Benjamin Rabier : ou le rapport entre une vache, Tintin et une baleine

S'il est un illustrateur qui corresponde parfaitement à mon imaginaire, c'est bien Benjamin Rabier.
Je ne résiste donc pas à vous présenter aujourd'hui son travail pour continuer mon hommage aux illustrateurs.

Benjamin Rabier (1864-1939)

J'avais d'abord envisagé de vous parler de Léon Benett (1839-1916) qui fut l'illustrateur le plus connu des romans de Jules Verne (il a illustré pas moins de 25 de ses romans pour le compte des éditions Hetzel ) et parce que nous avons tous un jour rêvé sur ses dessins. C'était le spécialiste des illustrations exotiques, talent qu'il devait en partie à sa fonction de conservateur des hypothèques pour l'état et qui l'amena à voyager à travers le monde et à en ramener des croquis dont il s'inspirera pour illustrer les plus grands auteurs (comme Hugo ou Fennimore Cooper).
Mais il n'y avait pas grand chose à en dire, si ce n'est l'influence de Gustave Doré sur son trait.
Pareil pour Maurice Leloir (1853-1940). Celui-ci a marqué notre imaginaire car c'est souvent ses dessins qui ont représenté "les trois mousquetaires" d'Alexandre Dumas sur les différentes collections que nous avons pu lire les uns et les autres. Il était d'ailleurs avant tout réputé pour sa passion du costume d'époque et en était devenu un spécialiste et un collectionneur. C'est d'ailleurs comme ça qu'il eut l'occasion de travailler à Hollywood comme conseiller sur les costumes des premiers films épiques du début du cinéma (Douglas Fairbanks, acteur précurseur des films de cape et d'épée et associé du grand Chaplin, l'embaucha). Mais il travaillait surtout ses dessins sur photo et dans un objectif encyclopédique (il a publié plusieurs ouvrages ou dictionnaires du costume).

Alors revenons à l'illustration divertissante et passons à la couleur avec Benjamin Rabier, leur contemporain.
Et quelles couleurs!!
La première fois que j'ai rencontré son œuvre, j'étais au Cours Préparatoire. Les premiers bons points que j'obtins, c'était lui qui les illustrait.

Pour ceux qui ne me connaissent pas, je vous rassure, je ne suis pas si vieux... Mais l'école rurale dans laquelle je suis allé pratiquait encore cette remise de bons points qui faisait mes délices. Rendez-vous compte : ces illustrations récompensaient mon travail en même temps qu'elles encourageaient mes rêveries. Comme quoi l'un et l'autre sont compatibles. Elles y furent pour beaucoup dans ma motivation. Quel regret d'avoir égaré ces magnifiques cartons de 8 cm sur 5.
Puis à 8 ans je lus Gédéon le canard sur un album à la couverture arrachée que mon grand frère avait extirpé de la décharge sauvage qui se dressait alors a l'entrée de mon village. Les pages étaient jaunies et tachées, et sentaient même le feu de bois auquel elles avaient sûrement échappé, mais je me suis régalé à leur lecture (même si les rats et les souris avaient dévoré la fin !).
Le bestiaire de Rabier était sympathique. Ces animaux rigolards et solidaires vivaient des aventures campagnardes qui me correspondaient tout à fait. Ces fermes aux cours sur-dimensionnées, ces mares aux canards, ce linge toujours tendu au vent sur une prairie verte, ces vieux tracteurs toussotants, ces fermiers bourrus, ces chasseurs fous, ces pêcheurs à l'œil endormi... Mais oui, je vivais dans l'univers de Rabier. Gédéon, le seul canard avec un long cou, c'était moi. L'identification était totale.
Et son humour surtout, très caustique. Cet univers un peu naïf et cette touche de poésie me séduit encore aujourd'hui et je feuillette de temps en temps l'intégrale de Gédéon miraculeusement ressuscitée à la faveur d'un hommage lors d'une réédition en 1991 (merci priceminister).


 
Gédéon le canard
Benjamin Rabier nait le 30 12 1864 à la Roche sur Yon. À 15 ans il obtient le prix du dessin de la ville de Paris où toute la famille a emménagé. Il commence très jeune à travailler comme comptable au Bon Marché puis travaillera ensuite durant 20 ans aux Halles Centrales de Paris alors que son succès en tant qu'illustrateur n'est plus à démontrer. 
En effet à 25 ans il ren contre le succès en illustrant plusieurs magazines français. Mais son talent s'exporte avec plus de réussite encore aux États-Unis et en Grande-Bretagne où son humour séduit.

Il travaille surtout comme caricaturiste et humoriste pour des journaux à sensibilité socialiste. En 1903 il va créer quelques personnages pour les enfants et être publié dans des magazines comme la jeunesse illustrée. Cette expérience l'aiguille peu à peu vers ce lectorat (la naissance de ses trois enfants entre 1895 et 1911 n'y est certainement pas pour rien).
En 1906 il illustre les fables de la Fontaine. Son interprétation toute en finesse reste l'une des plus savoureuses. 


Il crée aussi un personnage qui se nomme Tintin-lutin. Ce jeune garçon à houppette blonde porte des pantalons de golfe. À Bruxelles, le jeune Georges Rémi, futur Hergé, dévore ces aventures avec délectation et prend ce talentueux dessinateur qu'est Rabier comme modèle.
Hergé dira plus tard :« J’ai été immédiatement conquis. Car ces dessins étaient très simples. Très simples, frais, robustes, joyeux, et d’une lisibilité parfaite. En quelques traits bien charpentés tout était dit : le décor était indiqué, les acteurs en place ; la comédie pouvait commencer. » 

Benjamin Rabier fait un voyage à moto en Russie, périple très commenté par la presse de l'époque. Hergé s'en inspirera pour la première histoire de son Tintin : "Tintin au pays des Soviets".
Rabier ne tient pas en place (en plus de son job d'illustrateur, il travaille toujours aux Halles et trouve le moyen d'être contrôleur au nouveau cirque de Paris le soir, pour lequel il devient même pendant un temps acrobate jongleur) et il devient l'un des premiers producteurs de dessins animés en 1916 et puis publiciste ; il crée des affiches et des petites animations pour des produits du moment. C'est en 1924 qu'un dessin de Rabier est choisi pour illustrer une boîte de fromage crémeux. C'est la vache qui rit. On lui doit aussi à la même période la baleine des salins du midi.





 
Le sketch du serpent à pattes repris par Hergé dans "Tintin au Congo"

 



Devenu dessinateur animalier, il lance une série d'albums contant les aventures de Gédéon le canard. Il en dessinera 16 jusqu'en 1939, date de son décès.
S'il est souvent évoqué comme l'un des créateurs de la bande dessinée avec son sens du découpage des scènes et le rythme qu'il y imprime, il reste dans les esprits comme celui qui a donné aux animaux visage humain. Avec simplicité et authenticité, beaucoup d'espièglerie mais aussi de poésie, il a sans aucun doute contribué à changer le regard sur ces petites bêtes qu'on appelle nos inférieurs .
Tiens, faudrait que je vérifie s'il était végétarien ce monsieur là...


jeudi 8 mai 2014

Gustave Doré le Magnifique

L'illustration est un art à part entière. Nous avons tous eu l'occasion de lire des livres illustrés et on peut dire que certains illustrateurs nous ont marqués plus que d'autres.
Certains, accompagnant des classiques de la littérature, font aujourd'hui partie de l'imaginaire collectif.
Aussi je voulais commencer par le plus grand d'entre eux qui, par son travail, a popularisé le métier et a même préfiguré le genre bande dessinée qualifié aujourd'hui de 9ème art.


Gustave Doré 1856
Si Gustave Doré fait l'objet d'une exposition au musée d'Orsay depuis février (dépêchez-vous ça ferme le 11 mai) c'est parce qu'il le vaut bien (et le succès de l'expo le prouve).
Né en 1832 à Strasbourg il illustre dès l'âge de 12 ans "les travaux d'Hercule" qui annonce déjà une pré-disposition pour les fresques antiques et grandioses.
Le même imprimeur qui lui avait fait confiance sur ce premier sujet, le parraine 3 ans plus tard pour monter à la capitale. Il lui permet de s'inscrire dans un lycée réputé. 
Autodidacte et plutôt exubérant, cela lui offre un cadre propice pour développer et maîtriser son talent, et surtout pour en vivre.
Il devient un caricaturiste réputé et redouté pour un journal satyrique qui s'accorde bien de son tempérament frondeur et cynique.
C'est en 1854 qu'il se voit confier l'illustration de Rabelais ce qui va finir de le positionner comme illustrateur réputé. 

Il illustre dans la foulée la Bible et la divine comédie de Dante  (1861-1868) dans un grand écart qui prouve qu'il sait s'emparer des grands sujets et de tous les grands sujets.
Son travail s'exporte bientôt dans toute l'Europe et jusqu'en Russie. Mais c'est à Londres que sa popularité est la plus grande. Il ouvre là-bas une galerie.
Son talent éclectique se manifeste dans des disciplines différentes. 
Ainsi on dénombre à ce jour pas moins de 10 000 illustrations différentes dont certaines ont servi les plus grands auteurs, mais on lui doit aussi des titres de musique, des affiches, des lithographies, des lavis, des aquarelles, des peintures et de magnifiques sculptures.

Le  bronze qui siège avec toute la pétulance et la désinvolture de D'Artagnan place du Général Catroux à Paris est une oeuvre de Doré !
Toutes ses œuvres ont pour point commun une certaine virtuosité, un lyrisme emporté, une flamboyante imagination dont son arrière petit neveu, le chanteur Julien Doré, n'a pas à rougir.
Il meurt d'une crise cardiaque en 1883 laissant à tous ceux qu'il a inspiré le soin de prendre la relève.
Pour ma part j'ai découvert son travail à travers les contes de Perrault et garde encore à ce jour la terreur de cet effroyable ogre qui menace ces pauvres petits enfants innocemment endormis. 

Le petit Poucet et ses frères et soeurs,
tout l'art terrifiant de Gustave Doré

Je l'ai beaucoup apprécié aussi pour l'illustration des "travailleurs de la mer" de Victor Hugo où son trait emporté et suggestif exprimait bien l'ambiance du monde marin, les dangers cachés de la mer sous sa beauté infinie. 
Mais aussi sa merveilleuse interprétation des aventures de Sinbad le marin qui a beaucoup inspiré Richard Wallace pour certaines scènes du film réalisé en 1947, avec Douglas Fairbanks JR dans le rôle de Sinbad.
Le tout au crayon. Pas une seule couleur. Un travail d'impressionniste sans sa palette. Rien que la luminosité du trait. Chapeau bas !!
Sinbad le marin par Gustave Doré



Et si vous passez à Bourg en Bresse, le musée de brou expose pas mal de ses œuvres ainsi que le musée d'art de Clermont Ferrand où vous pourrez admirer cette splendide peinture de lui : "les saltimbanques".
"Les travailleurs de la mer" de Hugo par Doré






Les saltimbanques


mercredi 7 mai 2014

Aujourd'hui je vous montre le haut...demain...



Ça y est la couverture des semelles de vent est livrée.
Alors je vous en montre un petit bout...
Pour admirer l'illustration de Lolo B., il faudra que j'enlève le bas...
"Musique de strip tease"...

Bises à tous (et n'hésitez pas à partager avec vos amis 

dimanche 4 mai 2014

La force de l'illustration

Aujourd'hui j'ai reçu la seconde ébauche de la couverture destinée à mon recueil de textes à paraître le 1er juin.
Comme toujours, j'ai été bluffé par le coup de crayon de maître Laurent B. qui a illuminé ma journée (même si, je l'avoue, je lui ai déjà demandé d'apporter des modifications, non pas que le résultat ne me plaise pas mais plutôt parce que je souhaite que cela colle exactement à ce que j'ai en tête ; heureusement Lolo ne m'en tient pas rigueur, lui-même artiste et perfectionniste).
Alors j'ai trouvé que c'était l'occasion de rendre hommage aux illustrateurs qui sont souvent pour beaucoup dans le succès de certains livres destinés à la jeunesse, et de vous présenter ceux que j'aime le plus dans le prochain article.


J'aimerais d'abord essayer de définir ce que représentent pour moi les illustrateurs.
Quand j'ai tenté une carrière de chanteur, j'étais bien embarrassé parce qu'il me fallait un musicien (voire plusieurs !!). Je me suis essayé aux scénarios de bd mais il me fallait un dessinateur. Bref, toujours besoin d'un complément pour réaliser mon projet. 
Faux obstacle ? Stratégie de l'échec ? Allez savoir.
Puis je me suis mis à écrire les aventures des M and P´s et je me suis dit "Au moins là, besoin de personne pour créer mon histoire ! ".
Jusqu'à ce que j'ai l'opportunité de sortir "le tombeau des moines " et que surgisse cette nécessité de lui donner une couverture. 
Alors certes, j'aurais pu me contenter de mettre une image montée, moi qui sais bien utiliser Photoshop, ou réaliser un dessin approximatif (mon coup de crayon n'est pas très mature) mais je voulais une image créée spécialement pour le livre et surtout j'avais une image très précise en tête de ma couverture. Et puis, à chacun son métier comme dit l'adage.
Et me revoilà revenu au dilemme de départ : il me faut un partenaire.
Laurent B. est un ami depuis plus de dix ans maintenant et, un jour qu'on refaisait le monde, il m'avait confié qu'être dessinateur dans un grand studio de production de dessins animés lui aurait bien plu. À l'époque j'avais déjà en tête un projet de Bd mais n'ai pas osé lui en parler puisqu'on se connaissait de trop fraîche date. Cette petite phrase m'est tout naturellement revenue lorsqu'il m'a fallu donner corps au "tombeau". 
Je connaissais son coup de crayon, sa sensibilité, son intelligence et c'était comme une évidence. Vous savez comme quand on cherche l'amour et qu'on rencontre la personne de sa vie. Un coup de foudre artistique. C'était lui qu'il me fallait.
Alors je lui ai proposé et il a dit "oui" à l'aventure. Une demande en mariage m'aurait fait moins plaisir.
Pour cette première couverture, nous avions travaillé une version chacun de notre côté. Quand on regarde les deux versions on peut s'étonner du positionnement des personnages et de la mise scène étrangement proches d'une version à l'autre sans qu'on se soit montré nos ébauches.
Le résultat m'a d'autant plus étonné que tout a été réalisé à la palette graphique. J'adore son sens des couleurs et du mouvement. 
C'est comme si nous avions fait un joli bébé qui tiendrait de moi pour le caractère et de lui pour le physique.
L'illustrateur fait un peu le même travail que le concepteur de bande annonce pour un film. Il doit donner envie de prendre le livre, donner le ton du livre, l'ambiance. Il donne de l'épaisseur, du relief aux mots.
Et je trouve qu'il a bien rempli sa mission. Il a donné la force qu'il fallait à mon premier livre.
Il a donné vie à mon rêve et ça c'est un très joli cadeau.

Outre le résultat de son travail, j'ai par-dessus tout apprécié le processus de collaboration et les échanges que nous avons eu à cette occasion. Un projet créateur de lien. 
Et j'ai réalisé que ma recherche effréné d'un binôme artistique était tout simplement le besoin d'échanger, de partager une aventure. C'est tellement mieux que seul, surtout quand on a la chance d'être sur la même longueur d'ondes et d'apprécier l'autre.
J'ai tellement aimé que je veux recommencer. Mon enthousiasme me dépasse et j'aimerai faire ici ma déclaration :
"Oui Laurent, ce n'est pas raisonnable mais je veux encore tout plein de beaux dessins avec toi, des grands, des petits, des doux, des forts, des romantiques. Tu sais, il y a encore des scènes fortes du "tombeau des moines" qui mériteraient que ton crayon les mette en valeur, et surtout... surtout... Je serai ravi que tu donnes un visage à Martinou, à Pirouly, à Poucy et à Mirliton. 
C'est une grosse responsabilité, je sais, mais à la hauteur de la confiance que j'ai en toi. Je ne dirai pas que j'irai les yeux fermés car tu sais que mon œil acéré et exigeant reste toujours grand ouvert mais je suis certain que tu relèverais le défi avec classe."

Alors tous à vos "like" pour le travail de Laurent B., passé, présent et futur. 
Et je fais le vœux qu'il prenne un peu plus de temps pour ses propres projets de dessins dont un dont il m'a parlé. Magnifique dessin poétique et lyrique, une fresque !
 Je serai le premier à en faire la promo, et à me déplacer pour une première exposition. 
Prends confiance en toi mon petit Jedï et assume ton talent.

Prochain article : Illustres illustrateurs de Gustave Doré à Jean Sidobre ( mais aussi Léon Benett, Maurice Leloir, Pierre Joubert, Jeanne Hives)