vendredi 27 juin 2014

Nouvel extrait de "Mes semelles de vent" toujours disponible sur thebookedition.com



Je vous offre un nouveau texte extrait de "Mes semelles de vent". 
Un autre thème, un autre style. 
Futuriste ou contemporain ?
En 1994, quand je l'ai écrit, les écrans ne nous avaient pourtant pas encore envahis...



L'ŒIL DE TRAVERS

Le tic-tac d'une montre universelle
Règle ce monde à la Orwell,
C'est la génération des clones,
On nous parque dans des zones,
Gare à celui qui en sort
Et qui casse les ressorts
De cette machine bien huilée,
En quête de son identité,
Car, là-haut, l'Œil de Travers
Veille à ce que tout soit d'équerre.

Embryon, on détourne nos cellules,
On nous imbibe de gélules 
Pour éviter tout détournement,
Pour contenir les débordements.
Et puis, on crée des complexes
Qui, comme les miroirs convexes,
Réduisent au désespoir 
Ceux qui s'attachent au regard,
Car les toise l'Œil de Travers
Ce perpétuel contestataire.

L'Œil de Travers
C'est pas ton affaire,
Mais de quoi t'auras l'air
Si tu t'retrouves dans l'angle adversaire

Quel despote fixe les critères,
Décide de l'art et la manière,
Qui désigne les révoltés
Et fait d'eux des opprimés.
C'est l'entité planétaire,
L'impitoyable Œil de Travers.
Inutile de chercher une raison
A toutes ces persécutions
Car, partout, frappe l'Œil de Travers,
Intolérant, suprême, populaire.


Paris 4ème 03/04/1994

vendredi 20 juin 2014

Hommage à grand-père et grand-mère Rainot

Ce matin je pense à mes grands-parents paternels. Je  ne sais pas pourquoi...
Enfin si... Sûrement ce rayon de soleil matinal de juin qui couronne cet énorme tilleul ornant mon jardin d'une brume lumineuse alors que la fraîcheur de la nuit commence seulement à se dissiper et que les poules du voisin crétellent mollement.


Cela me rappelle cet énorme marronnier qui se dressait dans la basse-cour des grands-parents et ombrageait leur cour bitumée.
Et je me transporte 35 ans en arrière... Je pousse à nouveau le lourd portail vert qui grince sur ses gonds. J'aperçois d'abord les poules qui s'écartent sur mon passage et j'évite soigneusement les canards beaucoup moins craintifs et surtout plus agressifs  (mes mollets s'en souviennent).
Une petite bande d'herbe a survécu et longe l'enclos à charbon où grand-mère range les voitures à pédale, les trottinettes et le Polux à roulettes pour lesquels on se chamaille toujours avec les cousins.
Aujourd'hui les cousins ne sont pas là, je pourrais m'amuser sans problème mais c'est presque trop facile et, du coup, ces jouets ne m'intéressent pas.
Il faut dire que j'ai hâte de revoir grand-père et grand-mère. C'est ça le luxe des auteurs, leur imagination fertile les connecte quand ils le souhaitent avec le passé, les personnes disparues, les endroits détruits ou modifiés et tout redevient vivant et ne meurt jamais.
La grande maison, ancien corps de ferme cossu dont la partie droite est toujours composée de bâtiments aux lourdes portes de chêne, se dresse devant moi avec ses volets peints en vert rabattus sur un mur de pierres apparentes.
Les fenêtres sont ouvertes de bon matin. Je monte sur la large terrasse décorée de vieux tonneaux en bois, récupérateurs de pluie, et j'aperçois soudain grand-mère qui se penche par-dessus l'une des énormes jardinières aux magnifiques fuchsias décorant les appuis de fenêtres. Elle est en train de les arroser avec une cruche en céramique colorée. Elle a l'air ravie de me voir et me presse d'entrer. Abandonnant son arrosage, elle trottine jusqu'à la porte. Je tends la joue pour lui faire la bise, réflexe qu'elle n'a jamais eu, comme si elle rechignait à tout signe d'affection. Elle m'expédie deux ou trois bisous mal posés et brutaux en murmurant son gimmick habituel "Bon,bon aller..." et me pousse à m'installer sur ma chaise habituelle.
La cuisine est toute rutilante avec sa tomette rouge lustrée. Une grande table ronde recouverte d'une toile cirée à gros fruits se tient au milieu de la pièce. Sur le mur de gauche, en entrant, il y a la porte de la salle à manger puis un meuble  style années cinquante peint en écru brillant sur lequel trône un poste radio à galène derrière lequel sont classés les journaux des derniers jours. Puis la chaise de grand-père calée entre le meuble années cinquante et une grande armoire bahut dont la partie supérieure est un vaisselier à portes vitrées.
Cet emplacement est idéal  pour grand-père. Lorsqu'il fait sa sieste, il cale ses coudes sur le rebord de chacun des meubles qui l'encadrent. Ainsi il peut piquer tranquillement du nez après le déjeuner (et parfois après le petit déjeuner, car à cette époque de l'année il est au jardin très tôt et remonte vers neuf heures pour le casse-croûte).
Ma chaise à moi, est l'une des trois chaises en bois à l'assise tressée qui sont contre le mur de la cuisine faisant face à l'entrée. Quand je m'y assois, je sens les doux rayons du soleil matinal qui me caressent l'épaule à travers la fenêtre donnant sur le jardin derrière  la maison.  Ces rayons dessinent sur la nappe en toile cirée les mosaïques et arabesques des rideaux en dentelles qui décorent la fenêtre. Les rideaux sont si blancs qu'ont ne voit qu'un halo lumineux presque céleste et qu'on ne devine pas le jardin derrière.
Grand-mère me verse un verre de pom-pom et ouvre les battants du grand vaisselier pour en retirer une boite à gâteaux circulaire en fer style XIXème siècle. Elle soulève le couvercle et me propose de me servir en Roues d'Or et autres petits Lu. Son sourire bienveillant et son œil pétillant prouvent qu'elle est contente de voir ma tête de Mao (c'est comme ça qu'elle nomme les petits garçons un peu récalcitrants au caractère entier comme moi, ce qui était loin de me vexer dans une famille où le portrait de Mao Tsé-Toung, s'il n'ornait pas les murs, avait au moins sa place au fond du portefeuille).
Grand-mère ne sort pas de chez elle, ou très rarement. Aussi est elle ravie de me voir à chaque fois, car je lui apporte les nouvelles du monde extérieur. Bavard comme je suis, la conversation est toujours très riche et par moi elle apprend comment va le village, les derniers ragots, les nouvelles de la famille.
Bon, j'avoue ne pas toujours être respectueux des secrets des uns et des autres, mais grand-mère adore. Je suis son petit journal people à elle. Il n'est pas rare que grand-père interrompe ces joyeux babillages lorsqu'il remonte du jardin chargé de quelques outils ou d'un panier largement garni de pommes de terre nouvelles, de blettes, de salades et de haricots. Il dépose en général le panier sur le large évier en pierre, s'essuie le front de son immense mouchoir à carreaux en soulevant légèrement sa casquette du revers de son pouce puis le range d'un geste large dans son pantalon bleu, vestige de ses uniformes de l'EDF.

Grand-père et son profil Hitchcockien
Avant de faire la bise, il retire toujours sa casquette. Je sens sur sa joue la chique qu'il a calé maladroitement sur le coté et dont le jus a laissé une marque brunâtre au coin de ses lèvres. Heureusement l'odeur de son eau de Cologne du Mont Saint Michel mélangée à l'odeur du tabac donne un mélange pas désagréable du tout.
Mais aujourd'hui il ne se montre pas.
Ma grand-mère, voyant mon regard errer avec nostalgie sur le large évier et le poêle ancien sur lequel, pour une fois, rien ne mijote, devine que j'ai envie de voir grand-père. ll est à la cave en train de mettre le pom-pom en bouteille me dit-elle en replaçant avec coquetterie la barrette qui plaque ses cheveux gris sur sa tempe gauche. Elle me propose d'aller le voir et de remonter ensuite pour aller chercher les œufs au poulailler.

La maison comporte deux caves voûtées, l'une au-dessous d'un atelier qu'on doit traverser pour aller sur l'arrière de la maison, pièce interdite aux petits-enfants, l'autre au-dessous de la grange qui contient de vieilles charrettes et de vieilles bottes de paille et où il n' y a guère plus que les chats Tioumine et Sérifontaine qui y entrent encore.
Je me rends dans la première de ces caves. Je prends garde à la descente des degrés car ces vieilles marches usées sont assez hautes pour mes petites jambes et glissantes. Le plafond voûté vous arrive vite dans le front. Mes yeux mettent du temps à s'habituer à la pénombre mais je le vois enfin assis sur un petit tabouret que sa corpulence ne permet pas d'apercevoir. Il jette son œil bleu sur moi et son visage poupin s'éclaire.
Les enfants ont la capacité de capter le meilleur en chacun et, innocence ou choix délibéré, délaissent les aspects les plus sombres des gens qu'ils croisent. Je vois sur le visage de mon grand-père une grande bonté, un caractère jovial et serein et cela me rassure (même si je sais qu'il n'est pas parfait , qui l'est ?).
Il dépose dans un casier la bouteille qu'il vient de remplir au robinet du tonneau couché sur deux rangs de briques. La mise en bouteille du pom-pom est la dernière opération d'un long processus de préparation. Cette boisson à la pomme fermente durant plusieurs jours après mélange avec de la levure et de l'eau. Cela donne une boisson pétillante à mi chemin entre le cidre et le jus de pomme. Mes cousins, cousines et moi en raffolons. De vieilles bouteilles à bouchons mécaniques au verre vert opaque reçoivent cette boisson fermentée.


Grand-père essuie ses lèvres et crache sa chique dans son mouchoir avant de me faire la bise. Il me propose de lui tendre les bouteilles, ce qui lui évite de se lever à chaque fois, bien que, dans cette cave étroite, il n'ait qu'à tendre la main pour prendre une bouteille vide.
Je suis fier de l'aider, c'est l'essentiel. Comme quand toute la famille est mise à contribution pour ramasser les pommes de terre dès sept heures du matin et que oncles, tantes, cousins , cousines sont  réunis autour de lui et grand-mère pour déguster le bon pain frais et la charcutaille du père Douchin après avoir bien œuvré.
Une fois la dernière bouteille remplie, grand-père se redresse  péniblement et, replaçant ses bretelles sur sa chemisette à carreaux distendue par son embonpoint, il m'invite à remonter dans la cour.
Son pas est lent, son pas est lourd, ses gestes sont pesés et économes.
Lorsqu'on se retrouve dans la cour avec grand-mère, j'ai l'occasion de voir comme ces deux êtres sont différents : l'une petite et vive, l'autre grand et lent.
Grand-mère me kidnappe presque pour m'emmener dans la basse-cour dénicher les œufs. On passe sous le marronnier à fleurs rouges, on longe les tinettes desquelles quelques mouches émergent bien repues, puis on passe devant les niches à lapins où quelques gros spécimens nous regardent d'un œil inquiet.
Est-ce déjà l'heure de passer à la casserole ?
Mais on passe notre chemin et certains se grattent alors leurs longues oreilles d'un air soulagé.
Contre le long mur de pierres qui sépare du voisin, une fosse à fumier siège là, cernée de grosses pierres plates. Au fond à droite, lui aussi appuyé au mur du voisin, un cabanon formé de tôles grises abrite les nichoirs.
"Bon, bon, aller..." me presse ma grand-mère. L'endroit est sombre mais les toiles d'araignées sont rares. Rien ne résiste aux poules. Ni insectes, ni vers, ni rats !! Sur leur lit de paille je trouve quelques beaux gros œufs que je dépose avec précaution au fond du panier que tient grand-mère. Grand-mère ajoute quelques framboises en passant près du buisson de framboisiers.
Mais c'est déjà l'heure de les quitter. Il est bientôt midi.  Grand-mère va devoir cuisiner comme elle sait si bien le faire. Et pour grand-père l'heure de table est sacrée. Ce n'est pas grave. Je sais où ils sont et je reviendrai les voir régulièrement.
Ils sont là tout près dans ma mémoire et dans mon cœur  et il me suffit de fermer les yeux pour les revoir dans leur univers, dans leurs habitudes, dans leur paisible retraite.
Rien n'a changé.
Je retournerai les voir notamment pour leur raconter qu'ils m'ont inspiré les grands-parents de Pirouly dans les aventures des M and P's. Ça va bien les faire rire.
Demain, j'attaque une scène où grand-père va de nouveau apporter à Pirouly des informations nécessaires à l'élucidation du mystère. Eh oui, dans "le clown ne rit plus", grand-père joue encore les indics comme dans "le tombeau des moines". Et il ne sera pas rare de l'y croiser à l'occasion d'une promenade dans le village qu'il traversera de son pas débonnaire.
C'est mon hommage à mes grands-parents et le moyen pour moi de les retrouver en vie et de profiter encore un peu d'eux.
J'ai encore tant de choses à leur dire.


dimanche 1 juin 2014

Bannière "Mes semelles de vent"

Votre bannière

Sortie de "Mes semelles de vent" par Thierry Rainot




C'est toujours un jour spécial pour moi, le jour où je vous laisse découvrir mon travail.
Pour ce second livre, c'est encore plus spécial en cela qu'il vous dévoile un peu plus de moi (bien qu'à travers les aventures des M and P's le lecteur à l’œil affûté ait pu en découvrir déjà pas mal sur l'auteur qui se cache derrière les personnages).
Conseil pour les aventuriers qui s'intéresseraient à mes écrits : ce nouveau livre est à butiner. Il s'agit d'un recueil de textes, donc à lire autrement. Le mieux pour apprécier ce style est de déguster chaque texte comme quand on décide de déboucher une bouteille et de prendre un verre.
Choisissez le moment propice, laissez vous tomber dans un fauteuil moelleux un soir où le soleil commence à décliner et que les grillons commencent à enchanter le jardin ou bien dans une chaise longue à l'ombre d'un arbre bruissant de doux bourdonnements et de chants d'oiseaux, à moins que vous ne préfériez vous installer près de la porte-fenêtre alors que la pluie bat doucement les carreaux...
Puis libérez votre esprit et laissez vous portés par les mots.
Rêvez.
Voici un avant-goût:

L'HEURE SOMBRE

Installé dans une chaise en toile
A contempler les étoiles,
Je sens monter l'heure sombre,
Cette heure où les ombres s'allongent,
Où la fraîcheur tombe
Sur la terre encore chaude.
Le clocher du village voisin
Sonne dans le lointain,
J'entends nettement le grillon
Alors que s'assourdissent tous les sons.
A mesure que tombe la nuit,
Je sens mon cœur qui s'alourdit ;
Un chien hurle de désespoir,
La détresse rejoint l'air du soir,
Et la douceur de mes songes
S'évapore avec l'heure sombre.


Thierry RAINOT