dimanche 19 janvier 2014

La Bibliothèque Rose : un souvenir en commun... (partie 2)



Enid Blyton dans les années 50

En mettant en scène un groupe d'enfants qui s'affranchissent de l'aide des adultes pour résoudre un bon nombre d'énigmes policières (les adultes sont quasiment absents des histoires), Enid Blyton consacre l'émergence d'une nouvelle génération plus émancipée, plus débrouillarde et indépendante et séduit du même coup cette même génération. 



Grâce à elle, les éditions Hachette vont créer une sous-collection minirose destinée aux plus petits (5-8 ans) dont Oui-Oui sera le fer de lance rejoint très vite par Jojo Lapin. 
Les éditions Hachette profitent aussi de l'essor des héros télévisuels pour miser sur la novélisation de leurs aventures. Bien leur en prend puisque cette collection rencontre un véritable succès parmi lesquels Poly le petit poney, Belle et Sébastien et Nounours pour les années 60, puis Candy, Goldorak ou Casimir pour les années 70. Et on y retrouve même des héros Disney.
C'est l'âge d'or de la bibliothèque rose.




Dans le sillon d'Enid Blyton on trouve des auteurs français qui, sans la concurrencer, vont tirer une part belle, comme Georges Chaulet avec Fantomette ou Olivier Séchan (père du chanteur Renaud) pour différentes histoires. Les auteurs français seront plus nombreux pour la bibliothèque verte (voir prochain article). En revanche les illustrations sont confiées à des français talentueux comme Jeanne Hives ou Jean Sidobre dont vous avez forcément apprécié les couvertures et autres dessins.

Puis le milieu des années 80 avec l'apparition de programmes jeunesses plus présents à la télévision, les premiers jeux informatiques, font que la bibliothèque rose connaît une nouvelle désaffection et se trouve reléguée au grenier.
Les jeunes ne lisent plus. Il y a bien une innovation qui distrait un temps les adolescents des eighties mais cela profite surtout à une autre maison d'édition. Il s'agit de la collection "Un livre dont vous êtes le héros" une histoire qui selon un jeté de dé plus ou moins heureux, vous envoie vers le Saint Graal ou vers une mort atroce entre les griffes d'un monstre d'Héroïc Fantasy au bout de dix pages lues. De quoi décourager les lecteurs en herbe et leur faire prendre en grippe la littérature.

Le phénomène Harry Potter
Paradoxalement c'est un héros édité en 1997 chez un concurrent qui va permettre à Hachette de relancer sa franchise. L'effet Harry Potter est international et son aspect universel et inter-générationnel va ramener le plaisir de la lecture chez les plus jeunes et va même en faire un loisir familial puisque les parents vont aller piocher sans scrupules dans la bibliothèque de leurs bambins. 
Pour la dame Rose, c'est l'occasion d'un petit coup de rafraîchissement. 
Adieu la couverture rigide et le livre épais, bonjour la couverture souple, le livre maigrelet et le texte court. 
Adieu les illustrations poétiques pleine page ultra colorées, bonjour les illustrations minimalistes et un brin branchouille (mochouille diront d'autres pour faire la rime) réduites au rôle d'icône informatique. 
Adieu les héros de papa et maman, bonjour les héros des années 2000... 
Eh bien non, justement, tout le génie du service marketing de la bibliothèque rose c'est de ne pas renier le passé et de réunir toutes les générations de lecteurs à travers une classification judicieuse qui réconcilie tout le monde : 

- les classiques de la rose qui permettent aux enfants de découvrir les héros qui nous ont fait rêver il y a 40 ans. Attention aux puristes, les textes et illustrations remaniées pour être en phase avec la nouvelle génération peuvent laisser pantois (Oui-Oui qui appelle Potiron avec son IPhone et le club des cinq qui balancent par twitter les agissements d'un capitaine de remorqueur véreux...).
- ma première bibliothèque rose pour les 6-8 ans
- la bibliothèque rose pour les 8-10 ans 
- la bibliothèque rose plus pour les 10-12 ans
Ces trois dernières sections sont des adaptations de programmes télévisés.
On peut regretter qu'il y ait si peu de place pour de nouveaux auteurs, une plus grande place pour la découverte de nouveaux héros 100% bibliothèque rose.

Sûrement que pour tenir contre vents et marées 160 ans durant il faut faire des concessions avec son temps et aller de l'avant, miser sur des valeurs sûres.
L'essentiel est que l'offre soit toujours là et plus que jamais, car le secteur de la littérature jeunesse et de la BD ne s'est jamais si bien porté que depuis dix ans. 
La porte des rêves est plus que jamais grande ouverte et quand vous y passez la tête, méfiez-vous, le reste suit.
J'espère que vous ne verrez plus du même œil les fameux Relay qu'on trouve toujours dans les gares.
Lorsque vous y passerez la prochaine fois, ayez une petite pensée pour ce cher Louis Hachette décédé en 1864 et songez qu'en voulant rendre nos voyages plus agréables c'est le grand voyage de la vie qu'il a agrémenté grâce à toutes ces histoires qu'il a su mettre entre toutes les mains.
En démocratisant la littérature enfantine il a donné accès au rêve et à l'ambition à ceux qui en avaient le plus besoin.

Et vous ? Quel est votre bibliothèque rose fétiche ? Dites le moi et je ferais un article sur votre histoire préférée.

mardi 14 janvier 2014

La bibliothèque rose : un souvenir en commun... (partie 1)





On a tous un jour lu une histoire publiée dans la collection bibliothèque rose. Probablement à l'école ou à la bibliothèque municipale ou prêtée par un grand frère, une grande soeur ou une cousine, ou encore offert à l'occasion d'un séjour à l'hôpital. 
Aujourd'hui encore, quand on parle littérature jeunesse, on pense bibliothèque rose. Et pour cause, elle est l'une des fondatrices du genre et si des concurrents sont apparus sur le marché au cours des années soixante-dix / quatre-vingt, aucun d'eux ne l'a supplantée dans le coeur des gens.
Si on connaît bien la collection, en revanche on connaît moins son histoire. Et son histoire est celle d'une vieille dame de plus de cent cinquante ans d'existence. Une histoire longue et passionnante pleine d'anecdotes étonnantes. Je propose de vous la raconter aujourd'hui.

Louis Hachette
Si on dit que les voyages forment la jeunesse, vous allez voir que les voyages forment aussi la littérature jeunesse.
En 1852, Louis Hachette est un ex-libraire devenu éditeur heureux dans ses ambitions lorsqu'il rencontre le non moins heureux Comte de Ségur qui est, lui, Président des chemins de fer de l'est français. Outre une sympathie sincère et spontanée, des intérêts mutuels vont rapprocher ces deux hommes d'affaire à l'instinct affuté.
Louis Hachette est devenu en vingt ans l'éditeur incontournable de manuels scolaires et universitaires grâce à sa position géographique dans le quartier des écoles à Paris et à de nombreux appuis politiques.


Comte de Ségur
Le Comte de Ségur est un des Directeurs de la Société des Chemins de Fer oeuvrant dans le développement du réseau ferré et participant en cela à une révolution, la mobilité accrue des français ouvrant mille perspectives économiques et sociétales. 
Le premier, qui cherche à développer son empire et à se diriger vers une littérature de loisirs, pense alors que le livre, conçu de manière pratique et solide, pourrait bien être un passe-temps prisé par ces voyageurs de plus en plus nombreux. 
À l'occasion d'un voyage en Angleterre il a pu apprécier l'initiative d'un certain William Henry Smith qui a installé dans toutes les grandes gares anglaises des kiosques vendant des journaux et des livres aux voyageurs pressés. De retour en France il s'emploie à obtenir les licences, non sans difficultés, pour proposer le même service. 
Le Comte de Ségur fait partie de ses appuis. Son intérêt est professionnel mais aussi personnel. S'il voit bien qu'un service supplémentaire à ses usagers peut servir à améliorer l'image des chemins de fer en terme de confort, il pense aussi que son épouse, la Comtesse de Ségur, pourrait bien trouver là une maison d'édition qui consentirait à publier les nombreuses histoires qu'elle s'est mise à griffonner au fil des naissances de ses petits-enfants et spécialement inventées pour eux ( elle publie son premier livre à 56 ans).
Un des premiers relay
Louis Hachette lance donc ses premiers kiosques et y propose sa bibliothèque des chemins de fer identifiable entre toutes par ses petites dimensions et surtout ses six colories permettant de distinguer les collections. 
La colorie rose est choisie pour identifier la collection réservée aux enfants qu'il faut bien occuper dans le train pour la tranquillité des autres voyageurs. Rose couleur de l'innocence et de la pureté.

La Comtesse de Ségur
La Comtesse de Ségur va grandement participer à la popularité de cette collection nouvelle en l'alimentant régulièrement en histoires de petites filles modèles et autres nigauds qui font très vite le régal des enfants itinérants.
La bibliothèque rose illustrée a un style très XIX ème siècle au départ avec une version de luxe à la couverture rigide et au tissu rouge, doré sur tranche, richement illustrée en intra et une version bon marché à couverture souple rosée sans illustrations.
Elle gardera ce physique près de cent ans. 
C'est seulement en 1958 que la bibliothèque rose est rebaptisée "nouvelle bibliothèque rose" et prend l'apparence que nous lui connaissons.
Il faut dire qu'après deux guerres mondiales, la production était en baisse. Si certains ont été tenté au début du XX ème siècle, de faire porter la responsabilité de cette désaffection culturelle à la bicyclette devenue nouvelle marotte préférée des enfants (les instituteurs n'hésitaient pas à dénoncer aux parents les effets dangereux de ce nouvel outil du Diable qui décérébrait leurs enfants), il faut se rendre à l'évidence, c'est surtout que le monde a beaucoup changé et les enfants ont d'autres envies, d'autres attirances. C'est encore plus vrai pour les baby-boomers.
Il fallut deux générations de dirigeants pour que la maison Hachette réalise qu'il fallait rajeunir son image et renouveler son catalogue, l'enrichir d'auteurs en phase avec leur temps.
Il faut dire que la place de l'enfant a beaucoup évolué en un siècle. La scolarisation obligatoire qui remonte au 28 mars 1882 assure pour tous une même éducation de base (même si cela mettra encore cinquante ans à devenir effectif) et participe à un éveil intellectuel de plus en plus précoce.
Edition 1960 - 1970


Edition 1856

Edition 1950


Edition 1930

Edition 1980



Edition 2012

Edition 2000

D'autre part, le regard des adultes a, lui aussi, changé. Les pédiatres et psychologues comme Françoise Dolto ont beaucoup participé à cela. L'enfant est considéré comme une personne et les mécanismes du passage à l'adolescence sont de plus en plus pris en compte dans le cursus pédagogique mais aussi dans la publicité qui commence à les prendre pour cible.


De nouveaux auteurs émergent qui ont bien compris ce qu'attend cette nouvelle génération de lecteurs.
Si la Comtesse de Ségur fut l'un des piliers fondateurs de la bibliothèques rose, Enid Blyton, auteur britannique très populaire outre-manche, va être l'emblème de son renouveau. A suivre...

jeudi 2 janvier 2014

2014 : et si on remontait le temps... !!!


Je vous souhaite au nom des M and P’s une bonne année 2014.
Nous espérons que vous serez toujours plus nombreux à suivre nos aventures et que vous partagerez nos rêves et nos rencontres au long de ces mois à venir.
Si depuis de nombreuses années maintenant la littérature jeunesse a pris un essor  considérable, il s’écoula plusieurs siècles avant que ce fut le cas.
Profitons de ces jours pluvieux et froids pour effectuer une petite rétrospective de la littérature jeunesse et voyons comment elle a évolué au gré du temps.

Au Moyen-âge, le seul livre sur lequel  les enfants pouvaient s’émerveiller et exercer leur imaginaire fut pendant des siècles la bible et ses enluminures, ses gravures  et ses histoires fantastiques. Toutefois c’était un détournement de son objectif principal puisque, bien sûr, la bible n’avait pas celui  de divertir ni de faire rêver, mais plutôt de former les esprits et de les fidéliser à la religion. De plus, seuls les enfants des riches familles pouvaient approcher ce type de livre.
Les enfants s’approprièrent d’autres livres comme le « Pantagruel » de Rabelais (1533) et les fables du fameux La fontaine (1660) qui étaient à l’origine des satires politiques à destination d’adultes à l’esprit séditieux.
Même les contes de Charles Perrault étaient issus de la grande tradition du conte oral et destinés à réjouir toute la famille pour les longues veillées au coin du feu.
Le premier livre écrit spécialement pour un enfant fut « Les aventures de Télémaque » (1699) de Fénelon, et pas n’importe quel enfant puisqu’il écrivit ces aventures spécialement pour le dauphin, petit fils de Louis XIV.
Puis au XVIIIème siècle Jeanne-Marie Leprince de Beaumont  conçut enfin des contes à destination des enfants dont le plus connu reste « La Belle et la Bête » (1757) toujours  aussi efficace si l’on en juge par le succès de la comédie musicale et du film actuellement à l’affiche.
Parallèlement, les enfants les plus favorisés, issus de la noblesse et qui ont seuls accès à l’éducation (surtout s’ils sont de l’espèce masculine), continuent de s’intéresser à des œuvres littéraires, récits d’aventure emprunts d’exotisme et souvent voyages initiatiques :   «Les Mille et une nuits » (1703), « Robinson Crusoë» (1719) de De Foe, « Les voyages de Gulliver » (1726) de Jonathan Swift et autres « Baron de Münchhausen » (1786).
La loi Guizot  (1833), qui  oblige chaque commune à avoir une école, va contribuer au développement d’une littérature à destination exclusive de la jeunesse.
Louis Hachette devient l’éditeur de manuels scolaires et éducatifs. Vers 1850, il va étendre ses publications à des œuvres de loisir. Il profite du développement du chemin de fer et de la banalisation du voyage pour créer des collections de livres à destination des voyageurs. La plus connue et toujours en kiosque aujourd’hui : la bibliothèque rose, première collection destinée aux enfants.
Le prochain article abordera plus spécifiquement l’histoire de cette collection illustre.