samedi 1 février 2014

La bibliothèque verte : un rite de passage vers le monde des grands ?



On croit souvent que la bibliothèque verte est la grande sœur de la bibliothèque rose puisque c'est souvent avec nos aînés qu'on a eu l'occasion de faire connaissance avec elle. 
Qui de nous n'a pas entendu son père ou sa mère dire alors qu'on s'extasiait devant un volume vert à la couverture attirante dans le rayon jeunesse du libraire :
- Ce sera pour quand tu seras grand. Pour l'instant c'est encore un peu compliqué comme écriture pour toi.
Et de voir le livre tant convoité finir entre les mains d'un frère plus âgé.
Qui n'a pas frimé avec son livre de la bibliothèque verte dans la cour d'école pour montrer qu'il était maintenant un pré-ado avisé...?
Et pourtant la bibliothèque verte est postérieure de 70 ans à la bibliothèque rose. Elle est donc sa petite sœur.

le meeting (musée d'Orsay)
Au début du vingtième siècle, les éditions Hachette se rendent bien compte que la lecture est une occupation plutôt réservée aux jeunes filles au même titre que les travaux de couture et les jeux de dînette. Son lectorat est majoritairement féminin, les garçons préférant des occupations plus physiques à quelques exceptions près. De ce fait les auteurs de la bibliothèque rose abordent des sujets plus proches des préoccupations féminines.
Pourtant la fameuse maison d'édition ne désespère pas de détourner les petits poulbots de leur jeu de billes et autre lance-pierre.

 La maison Hachette profite donc de la faillite des éditions Hetzel, fameuse maison d'édition aux reliures luxueuses en cuir, pour, à l'aube de la première guerre mondiale, négocier leur catalogue d'œuvres et en acquérir les droits. On y trouve des auteurs renommés et populaires comme Jules Verne et Jack London. Des auteurs susceptibles de séduire les irréductibles petits musards.
Cependant la célèbre maison d'édition devra attendre 1925 pour recueillir les fruits de son investissement, le premier conflit mondial éclatant en 1914 pour laisser des traces dans le quotidien des gens dix ans après son dénouement.

Jules Verne version bibliothèque verte
Jules Verne version Hetzel
La bibliothèque rose voit donc naître la bibliothèque verte en 1925, nouvelle collection ouvertement destinée à un lectorat masculin épris d'action et d'aventures.

Elle est d'abord appelée Nouvelle bibliothèque d'éducation et de recréation, puis très vite prend son nom de baptême définitif.On peut dire que Verne et London ont servi de fondations à la renommée de la collection autant que la Comtesse de Ségur à celles de la rose.

Les œuvres de Daudet, Dumas, Zevaco, Dickens rejoignent très vite ces illustres auteurs.
Mais son identité et son succès vont s'affirmer davantage dans les années 50. A l'occasion de la nouvelle bibliothèque verte, Hachette change l'apparence des couvertures. Apparaît la fameuse ligne jaune en fronton et Pégase toutes ailes déployées au dos du livre sur fond blanc.

 
Croc blanc éditions années 20 - années 30


Croc Blanc éditions années 60

Croc Blanc éditions années 50

Croc Blanc éditions années 80

Croc Blanc éditions années70


Si la politique de l'import fonctionne aussi avec des auteurs comme Caroline Quinn (série des "Alice", lieutenant X (série des Langelot") et Walter Farley (série "l'étalon noir"), l'apparition d'auteurs 100% français va permettre de conforter la hausse des ventes.

Ainsi  sur ce chemin vert feront leurs premiers pas, Paul-Jacques Bonzon (Les Six Compagnons), Georges Bayard (série des "Michel"), Philippe Ebly ( série "les conquérants de l'impossible") et Georges-Gustave Toudouze (série "les cinq jeunes filles").
Ils porteront à eux tous la renommée de la bibliothèque verte à son sommet au milieu des années 70.



Puis les années 80 et l'évolution de l'espace audiovisuel réservé aux ados va avoir le même impact néfaste sur les ventes que pour la bibliothèque rose.
Bizarrement, alors que l'éducation nationale soulève le débat sur le genre masculin / féminin et la prédestination des tâches, les éditions Hachette sont revenues à ce jour à la classification d'il y a un siècle.
La bibliothèque rose est réservée à l'humour et à l'émotion avec un design et des couvertures ciblant sans ambiguïtés les filles, et la bibliothèque verte est présentée comme la collection de l'action et de l'aventure avec des personnages essentiellement masculins destinés aux garçons.
Elle qui avait réussi à devenir mixte dans la période où les droits des femmes et l'égalité des sexes étaient passionnément défendus, fait donc là une étonnante marche arrière en ramenant au vieux schéma d'antan. 
Les filles pour les sentiments, les garçons pour l'action !
Comme un drôle d'écho au
"Les filles au ménage, les garçons au bricolage ! "

Stromae ou la théorie du genre en égérie de la bibliothèque rose ou verte

 Rien d'étonnant quand on voit que la marche arrière est enclenchée dans plusieurs domaines : droits des travailleurs, droits sociaux, droits des femmes, logements..

Au sein de la bibliothèque verte on retrouve trois sections :
Pour les 6-8 ans, ma première bibliothèque verte.
Pour les 8-10 ans, ma bibliothèque verte.
Pour les 10-12 ans, ma bibliothèque verte plus.
Selon la même sectorisation que la bibliothèque rose !!
Dans l'ensemble ce sont des novélisations de mangas, des succès Disney ou comics.
Opportunisme ou air du temps ?




Mon avis est que Hachette, comme toute grosse entreprise, est tenue de faire du résultat, et a dû, comme tant d'autres dans d'autres domaines, faire un nivellement par le bas. La qualité littéraire n'est plus au rendez-vous.
Mais nous-même n'avons-nous pas notre propre responsabilité en ne proposant à nos enfants que des produits culturels faciles et si peu talentueux ? 
On dit que les niveaux de diplôme ont baissé.
Sûrement proportionnellement à l'exigence que nous avons vis à vis de nos enfants...
Ne lisions nous pas avec passion et intérêt un Jules Verne ou un Jack London dès 12 ans sans que nos parents nous en plaignent ou craignent pour l'implosion de nos neurones ? 
Même si tous les mots ne nous étaient pas accessibles et le style d'un autre siècle, ce genre d'auteurs nous portait vers le haut et nous acquérions notre langage avec eux en même temps que nous faisions l'apprentissage de la vie dans ces récits toujours porteurs de sens et de valeurs morales.

un bon livre est l'huile nécessaire au x rouages de la réflexion qui élèvera nos enfants !

Alors, heureux parents, glissez si vous le pouvez entre deux mangas et deux "romans savons" des livres de bonne qualité littéraire (après tout, les uns et les autres ne sont pas incompatibles et en grand adepte de la BD pur divertissement, je ne dénigre pas la littérature purement distractive) car le livre intelligent est aussi un incroyable aiguillon de la curiosité et une formidable source d'apprentissage de la langue et de la réflexion.
Pour ma part je fais mon maximum pour que les aventures des M and P´s appartiennent à ces deux catégories, puissent-elles prouver que la littérature jeunesse n'est pas méprisable et peut aussi être de qualité.
S'il est un combat à mener c'est celui que je mènerai.