jeudi 1 mars 2018

Fred Vargas ou une certaine idée du polar littéraire


Je n'aime pas trop les polars. Trop sombres, trop glauques, sans surprise, souvent mal écrits. Sûrement ma première fois avec "le Dahlia noir" m'avait-elle un peu refroidi. Il paraît que les premières fois sont toujours un peu ratées...
Et puis Enzo Kasmi, adepte et spécialiste du genre avec qui je parle littérature régulièrement lors de nos pauses déjeuner épicuriennes, a su me parler de certains romans avec son emphase et avec sa finesse habituelles, et a fini par attiser ma curiosité (et la bouteille de Pouilly Fuissé n'y est pour rien). 
Dans la myriade de polars dont il m'a fait l'apologie, il fallait toutefois que je fasse un choix.
Mon choix est tombé sur Fred Vargas et son commissaire Adamsberg. 
Mr Enzo m'en avait parlé avec enthousiasme, mais l'interview de Fred Vargas par Laure Adler dans l'émission "L'Heure Bleue", sur France Inter, a fini de me décider. 
Stupeur : Fred Vargas est une femme à la voix rauque et à l'accent parisien qui dit des choses atypiques, profondes et intelligentes d'un ton désinvolte. Elle expliqua lors de cette émission comment elle et sa sœur jumelle se sont retrouvées à enquêter sur la vraie histoire de Cesare Battisti, ancien terroriste italien devenu écrivain, et ont tenté de prouver, par cette enquête, son innocence dans les meurtres pour lesquels la justice italienne le poursuivait. Courageuse et folle entreprise ! Sœurs fantasques et inconséquentes ? Ou idéalistes convaincues éprises de justice et combattantes des pouvoirs totalitaires ? 
La voix radiophonique de cette fumeuse patentée, défenderesse du calomnié repenti, et dénonciatrice d'un état qui n'assume pas son passé, me captiva, m'emporta, m'intrigua. Une telle femme ne pouvait écrire que magistralement !
Et puis, j'avais en tête que mon acteur préféré, Jean-Hugues Anglade, avait incarné Adamsberg dans la version télévisée réalisée par Josée Dayan.
Je me retrouvai donc à lire "l'homme aux cercles bleus" avec cette appréhension de la seconde fois, cette excitation nerveuse qui hésite entre l'envie d'en découdre et la terreur du fiasco, la peur de ne pas arriver au plaisir et de devoir battre en retraite en plein milieu du désir... S'y mêla aussi ce besoin viscéral d'étendre mon territoire en sachant que toute porte ouverte sur l'univers d'un autre (Enzo et Fred Vargas) est un agrandissement de mon propre espace vital, une extension de ma construction mentale, un développement de ma capacité pulmonaire, bref un épanouissement supplémentaire. S'y ajoutèrent cette curiosité anthropologique, cette soif de découvrir un peu du mystère séculaire de l'autre, cet autre qui nous entoure, qui nous suit, qui nous devance, qui nous empêche, qui nous aide, qui nous comprend (rarement), qui nous ignore (souvent) et nous détruit (toujours)... J'eus l'impression d'être un vampire faisant tranquillement le tour d'un appartement pour mieux connaître sa future victime avant de fondre sur elle alors qu'elle dort tranquillement entre des draps immaculés, et de se repaître voluptueusement de sa vitalité pour prolonger un peu la sienne...
J'ai dévoré Fred Vargas en quatre séances de lecture. J'ai adoré son style, ses personnages, l'intrigue, l'ambiance. Les dialogues sont savoureux. Se cachent dans la légèreté des propos une profondeur certaine emprunte d'humour et de cynisme, et teintée d'absurde à la Ionesco (mais juste ce qu'il faut pour ne pas se désintéresser de l'histoire et des personnages). Les échanges entre personnages claquent comme du Audiard. Les personnages (Adamsberg et Mathilde en tête) ont tous quelque chose d'attachant, toujours sur le fil, hésitant entre le côté clair et le côté obscur de la vie, entre désabus et amour de l'existence, ce qui se retrouve aussi dans l'attrait qu'ils ont envers les autres et la méfiance qu'ils ressentent envers eux... 
J'ai lu chaque page avec délectation, tellement les mots sont savoureux. Toujours cet équilibre entre érudition et bon sens commun et cette observation juste de la nature humaine dans toute sa variété.
Me voilà repu d'une seconde fois concluante, le livre défloré gisant à côté de moi au milieu de mes draps froissés avec cette envie furieuse de déjà recommencer. Heureusement, huit autres enquêtes du commissaire Adamsberg m'attendent sur ma table de nuit et tentent déjà de raviver mes ardeurs de leur tranche aguichante. Encore de bons moments en perspective...

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