samedi 24 mai 2014

Benjamin Rabier : ou le rapport entre une vache, Tintin et une baleine

S'il est un illustrateur qui corresponde parfaitement à mon imaginaire, c'est bien Benjamin Rabier.
Je ne résiste donc pas à vous présenter aujourd'hui son travail pour continuer mon hommage aux illustrateurs.

Benjamin Rabier (1864-1939)

J'avais d'abord envisagé de vous parler de Léon Benett (1839-1916) qui fut l'illustrateur le plus connu des romans de Jules Verne (il a illustré pas moins de 25 de ses romans pour le compte des éditions Hetzel ) et parce que nous avons tous un jour rêvé sur ses dessins. C'était le spécialiste des illustrations exotiques, talent qu'il devait en partie à sa fonction de conservateur des hypothèques pour l'état et qui l'amena à voyager à travers le monde et à en ramener des croquis dont il s'inspirera pour illustrer les plus grands auteurs (comme Hugo ou Fennimore Cooper).
Mais il n'y avait pas grand chose à en dire, si ce n'est l'influence de Gustave Doré sur son trait.
Pareil pour Maurice Leloir (1853-1940). Celui-ci a marqué notre imaginaire car c'est souvent ses dessins qui ont représenté "les trois mousquetaires" d'Alexandre Dumas sur les différentes collections que nous avons pu lire les uns et les autres. Il était d'ailleurs avant tout réputé pour sa passion du costume d'époque et en était devenu un spécialiste et un collectionneur. C'est d'ailleurs comme ça qu'il eut l'occasion de travailler à Hollywood comme conseiller sur les costumes des premiers films épiques du début du cinéma (Douglas Fairbanks, acteur précurseur des films de cape et d'épée et associé du grand Chaplin, l'embaucha). Mais il travaillait surtout ses dessins sur photo et dans un objectif encyclopédique (il a publié plusieurs ouvrages ou dictionnaires du costume).

Alors revenons à l'illustration divertissante et passons à la couleur avec Benjamin Rabier, leur contemporain.
Et quelles couleurs!!
La première fois que j'ai rencontré son œuvre, j'étais au Cours Préparatoire. Les premiers bons points que j'obtins, c'était lui qui les illustrait.

Pour ceux qui ne me connaissent pas, je vous rassure, je ne suis pas si vieux... Mais l'école rurale dans laquelle je suis allé pratiquait encore cette remise de bons points qui faisait mes délices. Rendez-vous compte : ces illustrations récompensaient mon travail en même temps qu'elles encourageaient mes rêveries. Comme quoi l'un et l'autre sont compatibles. Elles y furent pour beaucoup dans ma motivation. Quel regret d'avoir égaré ces magnifiques cartons de 8 cm sur 5.
Puis à 8 ans je lus Gédéon le canard sur un album à la couverture arrachée que mon grand frère avait extirpé de la décharge sauvage qui se dressait alors a l'entrée de mon village. Les pages étaient jaunies et tachées, et sentaient même le feu de bois auquel elles avaient sûrement échappé, mais je me suis régalé à leur lecture (même si les rats et les souris avaient dévoré la fin !).
Le bestiaire de Rabier était sympathique. Ces animaux rigolards et solidaires vivaient des aventures campagnardes qui me correspondaient tout à fait. Ces fermes aux cours sur-dimensionnées, ces mares aux canards, ce linge toujours tendu au vent sur une prairie verte, ces vieux tracteurs toussotants, ces fermiers bourrus, ces chasseurs fous, ces pêcheurs à l'œil endormi... Mais oui, je vivais dans l'univers de Rabier. Gédéon, le seul canard avec un long cou, c'était moi. L'identification était totale.
Et son humour surtout, très caustique. Cet univers un peu naïf et cette touche de poésie me séduit encore aujourd'hui et je feuillette de temps en temps l'intégrale de Gédéon miraculeusement ressuscitée à la faveur d'un hommage lors d'une réédition en 1991 (merci priceminister).


 
Gédéon le canard
Benjamin Rabier nait le 30 12 1864 à la Roche sur Yon. À 15 ans il obtient le prix du dessin de la ville de Paris où toute la famille a emménagé. Il commence très jeune à travailler comme comptable au Bon Marché puis travaillera ensuite durant 20 ans aux Halles Centrales de Paris alors que son succès en tant qu'illustrateur n'est plus à démontrer. 
En effet à 25 ans il ren contre le succès en illustrant plusieurs magazines français. Mais son talent s'exporte avec plus de réussite encore aux États-Unis et en Grande-Bretagne où son humour séduit.

Il travaille surtout comme caricaturiste et humoriste pour des journaux à sensibilité socialiste. En 1903 il va créer quelques personnages pour les enfants et être publié dans des magazines comme la jeunesse illustrée. Cette expérience l'aiguille peu à peu vers ce lectorat (la naissance de ses trois enfants entre 1895 et 1911 n'y est certainement pas pour rien).
En 1906 il illustre les fables de la Fontaine. Son interprétation toute en finesse reste l'une des plus savoureuses. 


Il crée aussi un personnage qui se nomme Tintin-lutin. Ce jeune garçon à houppette blonde porte des pantalons de golfe. À Bruxelles, le jeune Georges Rémi, futur Hergé, dévore ces aventures avec délectation et prend ce talentueux dessinateur qu'est Rabier comme modèle.
Hergé dira plus tard :« J’ai été immédiatement conquis. Car ces dessins étaient très simples. Très simples, frais, robustes, joyeux, et d’une lisibilité parfaite. En quelques traits bien charpentés tout était dit : le décor était indiqué, les acteurs en place ; la comédie pouvait commencer. » 

Benjamin Rabier fait un voyage à moto en Russie, périple très commenté par la presse de l'époque. Hergé s'en inspirera pour la première histoire de son Tintin : "Tintin au pays des Soviets".
Rabier ne tient pas en place (en plus de son job d'illustrateur, il travaille toujours aux Halles et trouve le moyen d'être contrôleur au nouveau cirque de Paris le soir, pour lequel il devient même pendant un temps acrobate jongleur) et il devient l'un des premiers producteurs de dessins animés en 1916 et puis publiciste ; il crée des affiches et des petites animations pour des produits du moment. C'est en 1924 qu'un dessin de Rabier est choisi pour illustrer une boîte de fromage crémeux. C'est la vache qui rit. On lui doit aussi à la même période la baleine des salins du midi.





 
Le sketch du serpent à pattes repris par Hergé dans "Tintin au Congo"

 



Devenu dessinateur animalier, il lance une série d'albums contant les aventures de Gédéon le canard. Il en dessinera 16 jusqu'en 1939, date de son décès.
S'il est souvent évoqué comme l'un des créateurs de la bande dessinée avec son sens du découpage des scènes et le rythme qu'il y imprime, il reste dans les esprits comme celui qui a donné aux animaux visage humain. Avec simplicité et authenticité, beaucoup d'espièglerie mais aussi de poésie, il a sans aucun doute contribué à changer le regard sur ces petites bêtes qu'on appelle nos inférieurs .
Tiens, faudrait que je vérifie s'il était végétarien ce monsieur là...


1 commentaire:

  1. Je le connais bien le Benjamin, forcément, je porte son patronyme ! C'était le nom de mon papa.
    Malheureusement Benjamin n'est pas mon aïeul, ce que je regrette infiniment évidemment.
    Ce qui est drôle par contre c'est que mon chéri s'appelle Benjamin.

    Quand j'ai passé mon entretien pour entrer en école de dessin publicitaire en 1992, on m'a demandé si je connaissais Benjamin Rabier. J'ai bien sûr répondu avec ce que je connaissais de lui à l'époque, à savoir la paternité de la Vache qui rit. C'est apparemment ce qui a motivé le fait que j'ai été prise !
    J'espère pouvoir lui consacrer aussi un grand sujet sur mon blog un de ces 4.

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