mercredi 5 juin 2013

Partie 5 de mon éveil à la lecture...

De mon éveil à la lecture jusqu'à l'écriture de Martinou et Pirouly

La bibliothèque idéale de Madame Lazrak et le club de lecture émancipatrice de Mme Depotter (partie 5)


L'éventail des oeuvres littéraires est tellement large qu'il est difficile pour un novice de l'embrasser et surtout de savoir par où commencer.

Je l'ai dit, j'ai un tempérament de collectionneur et de passionné et, quand un auteur ou un héros me plaît, j'ai tendance à tout vouloir avaler de lui.
On a vu que le risque était de limiter mes horizons et de ralentir mon enrichissement culturel. A force d'avoir entendu cet avertissement, une forme de culpabilité planait sans cesse sur moi.

Le problème est que, là où je n'éprouve pas de plaisir, je retiens moins bien les choses. Les lectures qu'on m'imposait, ou que JE m'imposais, avaient un impact beaucoup plus faible sur moi, habitué tout petit à apprendre en m'amusant et de ma propre volonté. C'est un fait, on retient mieux quand notre curiosité est éveillée et que nous allons vers l'information non contraint et forcé. L'Education Nationale devrait davantage s'inspirer de ce constat.
Ma prof de français de seconde, clône parfait de Juliette Gréco et tout aussi fantaisiste (elle aimait marteler dix fois de suite, en tapant du poing quelque fois sur son bureau, la phrase "de la méthode, il vous faut de la méthode" avec des tons différents traduisant l'impatience, le découragement, la colère, la moquerie selon son humeur du moment. Ce qui prouvait qu'elle était davantage tragédienne que prof de français !), a eu la bonne idée de nous constituer une liste appelée "la bibliothèque idéale", constituée de toutes les grandes oeuvres françaises des cinq derniers siècles.

Le lecteur boulimique que j'étais en eut le tournis, et je faillis en perdre connaissance d'excitation.
Quoi ?! Il existe toutes ces oeuvres à découvrir, et on me propose une collection plus ambitieuse que celles auxquelles je m'étais habitué ?
Pensez bien que je m'attelai à la tâche le jour même et retournai la bibliothèque familiale et le grenier pour pointer ceux qui étaient déjà en notre possession. Ma moisson fut honnête mais par rapport à la liste de plusieurs pages remise par Mme Lazrak, elle me parut un peu mince.
Au nombre des livres trouvés: "Germinal" de Zola, "L'écume des jours" de Vian, "1984" de George Orwell, "le voyageur imprudent " de Barjavel...

C'est à partir de là que je me suis ouvert à tous les styles et toutes les époques littéraires et que j'entrepris de compléter ma culture personnelle en même temps que les étagères de ma bibliothèque.
En première littéraire, ma prof Anne-Lise Depotter (décidément mes professeurs de français étaient toutes des perles) a développé mon sens critique en mettant en place des séances d'échange sur les livres qu'elle nous conseillait. Je me souviens que c'est la seule prof avec qui j'ai pris des cafés en dehors des heures de classe. Elle était très attentive à mes opinions, mes réflexions et m'a fait découvrir le plaisir de débattre et de défendre mon point de vue. J'ai réalisé que la lecture n'était pas qu'un divertissement. Du débat sur le soulèvement des mineurs dans "Germinal", aux dérives d'un état totalitaire dans "1984", ou encore les excès des conquêtes napoléoniennes, je découvris que les livres nous permettaient d'observer la nature humaine ou les événements de différents points de vue, d'analyser et de prendre position. Je le ressentis plus ou moins consciemment mais cela m'affermit et me rassura pour la suite. J'avais trouvé ma pierre de rosette pour décrypter le monde qui m'entourait, parfois effrayant pour un adolescent.

  
Cette étape et la philosophie, nouvelle matière que je découvris avec délectation, me permirent d'accéder à l'âge adulte. La philosophie est à l'esprit, et au raisonnement ce que la musculation et le sport sont au corps. J'ai adoré lire Platon, Voltaire et les théories de Freud. Mon empathie excessive (très précieuse pour les écrivains, en herbe ou pas) est née de là. Poser un sujet, le comprendre, l'expliquer, le décortiquer, l'argumenter, l'opposer, le relativiser, le nuancer... Une, deux, trois, quatre... et flexion, extension, torsion, mouvement des bras, petites foulées...et une, deux, trois, quatre...

Mme Povéda, ma prof de philo, me fit faire mon premier exposé et donc, ma première prise de parole en public. Il s'agissait de l'analyse des rêves selon la théorie Freudienne. Je m'en sortis si bien dans la vulgarisation et la capacité à capter l'attention de mon auditoire, que cela me conforta dans mon opinion que la maîtrise des mots ouvre bien des portes et des opportunités. Elle crée aussi du lien social. Savoir exprimer justement sa pensée, son ressenti, facilite le contact avec autrui et nous intègre plus sûrement. La maîtrise des mots aide à séduire, à convaincre, à transmettre. Bref c'est un pouvoir inestimable.

J'ai fini d'éclore cette année là, prêt à affronter le monde avec gourmandise et impatience.
Cette prise de parole réussie fut en lien direct avec mon inscription à un cours de théâtre au cours de ma dernière année de lycée. Je me suis lancé dans l'aventure avec ma meilleure amie Estelle, sœur de cœur et d'intellect, qui me tendit une main ferme mais rassurante pour m'entrainer  à l'inscription un soir de novembre venteux où nous arrivâmes à la bibliothèque le visage saupoudré du glaçage de nos mille feuilles dévorés en chemin. Le théâtre classique ne m'ayant jamais attiré, Dieu merci on nous proposa du théâtre de boulevard. C'est ainsi que nous jouâmes "Les portes claquent" de Michel Fermaud, puis "Le père noël est une ordure" du Splendid. Au gré de nos répétitions et de la préparation de la générale, nous nous découvrîmes l'un et l'autre en même temps que nous nous révélions à nous même (il faut dire que jouer Pierre, pour moi,  et Thérèse pour Estelle dans la scène du "père noël..." où les choses échappent aux deux personnages au point que Pierre lui demande de faire la truie, ça crée des liens indéfectibles !!)
Adieu ma timidité, adieu les complexes, adieu les hésitations.

Ma première grande décision fut d'arrêter l'école en pleine épreuve du BAC au grand dam de mes amis et de mes parents (j'ai passé l'épreuve de philo avec un 16 sur 20 et ai négligé d'aller aux épreuves qui ne m'intéressaient pas comme les math ). Je perçus toutefois un brin d'admiration chez les premiers et peu d'inquiétude chez les seconds, ce qui me laissa supposer qu'ils avaient finalement confiance en mon choix.
J'avais bien retenu en pur esprit indépendant la grande leçon du libre arbitre...
 

2 commentaires:

  1. ah ça, je me doutais bien qu'elle finirait par apparaître celle là!
    Mais je suis d'accord avec toi, la philo est à l'esprit ce que le sport est au corps. Quel dommage que beaucoup arrête d'en lire une fois passé le bac...

    RépondreSupprimer
  2. Mais je suis passé de la théorie à la pratique jeune homme, plus besoin d'en lire ;-)
    Et la philo je la lis chaque jour dans les yeux de la personne qui partage ma vie (ouh la céti pabo ça !! poète pouët !)

    RépondreSupprimer