dimanche 19 janvier 2014

La Bibliothèque Rose : un souvenir en commun... (partie 2)



Enid Blyton dans les années 50

En mettant en scène un groupe d'enfants qui s'affranchissent de l'aide des adultes pour résoudre un bon nombre d'énigmes policières (les adultes sont quasiment absents des histoires), Enid Blyton consacre l'émergence d'une nouvelle génération plus émancipée, plus débrouillarde et indépendante et séduit du même coup cette même génération. 



Grâce à elle, les éditions Hachette vont créer une sous-collection minirose destinée aux plus petits (5-8 ans) dont Oui-Oui sera le fer de lance rejoint très vite par Jojo Lapin. 
Les éditions Hachette profitent aussi de l'essor des héros télévisuels pour miser sur la novélisation de leurs aventures. Bien leur en prend puisque cette collection rencontre un véritable succès parmi lesquels Poly le petit poney, Belle et Sébastien et Nounours pour les années 60, puis Candy, Goldorak ou Casimir pour les années 70. Et on y retrouve même des héros Disney.
C'est l'âge d'or de la bibliothèque rose.




Dans le sillon d'Enid Blyton on trouve des auteurs français qui, sans la concurrencer, vont tirer une part belle, comme Georges Chaulet avec Fantomette ou Olivier Séchan (père du chanteur Renaud) pour différentes histoires. Les auteurs français seront plus nombreux pour la bibliothèque verte (voir prochain article). En revanche les illustrations sont confiées à des français talentueux comme Jeanne Hives ou Jean Sidobre dont vous avez forcément apprécié les couvertures et autres dessins.

Puis le milieu des années 80 avec l'apparition de programmes jeunesses plus présents à la télévision, les premiers jeux informatiques, font que la bibliothèque rose connaît une nouvelle désaffection et se trouve reléguée au grenier.
Les jeunes ne lisent plus. Il y a bien une innovation qui distrait un temps les adolescents des eighties mais cela profite surtout à une autre maison d'édition. Il s'agit de la collection "Un livre dont vous êtes le héros" une histoire qui selon un jeté de dé plus ou moins heureux, vous envoie vers le Saint Graal ou vers une mort atroce entre les griffes d'un monstre d'Héroïc Fantasy au bout de dix pages lues. De quoi décourager les lecteurs en herbe et leur faire prendre en grippe la littérature.

Le phénomène Harry Potter
Paradoxalement c'est un héros édité en 1997 chez un concurrent qui va permettre à Hachette de relancer sa franchise. L'effet Harry Potter est international et son aspect universel et inter-générationnel va ramener le plaisir de la lecture chez les plus jeunes et va même en faire un loisir familial puisque les parents vont aller piocher sans scrupules dans la bibliothèque de leurs bambins. 
Pour la dame Rose, c'est l'occasion d'un petit coup de rafraîchissement. 
Adieu la couverture rigide et le livre épais, bonjour la couverture souple, le livre maigrelet et le texte court. 
Adieu les illustrations poétiques pleine page ultra colorées, bonjour les illustrations minimalistes et un brin branchouille (mochouille diront d'autres pour faire la rime) réduites au rôle d'icône informatique. 
Adieu les héros de papa et maman, bonjour les héros des années 2000... 
Eh bien non, justement, tout le génie du service marketing de la bibliothèque rose c'est de ne pas renier le passé et de réunir toutes les générations de lecteurs à travers une classification judicieuse qui réconcilie tout le monde : 

- les classiques de la rose qui permettent aux enfants de découvrir les héros qui nous ont fait rêver il y a 40 ans. Attention aux puristes, les textes et illustrations remaniées pour être en phase avec la nouvelle génération peuvent laisser pantois (Oui-Oui qui appelle Potiron avec son IPhone et le club des cinq qui balancent par twitter les agissements d'un capitaine de remorqueur véreux...).
- ma première bibliothèque rose pour les 6-8 ans
- la bibliothèque rose pour les 8-10 ans 
- la bibliothèque rose plus pour les 10-12 ans
Ces trois dernières sections sont des adaptations de programmes télévisés.
On peut regretter qu'il y ait si peu de place pour de nouveaux auteurs, une plus grande place pour la découverte de nouveaux héros 100% bibliothèque rose.

Sûrement que pour tenir contre vents et marées 160 ans durant il faut faire des concessions avec son temps et aller de l'avant, miser sur des valeurs sûres.
L'essentiel est que l'offre soit toujours là et plus que jamais, car le secteur de la littérature jeunesse et de la BD ne s'est jamais si bien porté que depuis dix ans. 
La porte des rêves est plus que jamais grande ouverte et quand vous y passez la tête, méfiez-vous, le reste suit.
J'espère que vous ne verrez plus du même œil les fameux Relay qu'on trouve toujours dans les gares.
Lorsque vous y passerez la prochaine fois, ayez une petite pensée pour ce cher Louis Hachette décédé en 1864 et songez qu'en voulant rendre nos voyages plus agréables c'est le grand voyage de la vie qu'il a agrémenté grâce à toutes ces histoires qu'il a su mettre entre toutes les mains.
En démocratisant la littérature enfantine il a donné accès au rêve et à l'ambition à ceux qui en avaient le plus besoin.

Et vous ? Quel est votre bibliothèque rose fétiche ? Dites le moi et je ferais un article sur votre histoire préférée.

mardi 14 janvier 2014

La bibliothèque rose : un souvenir en commun... (partie 1)





On a tous un jour lu une histoire publiée dans la collection bibliothèque rose. Probablement à l'école ou à la bibliothèque municipale ou prêtée par un grand frère, une grande soeur ou une cousine, ou encore offert à l'occasion d'un séjour à l'hôpital. 
Aujourd'hui encore, quand on parle littérature jeunesse, on pense bibliothèque rose. Et pour cause, elle est l'une des fondatrices du genre et si des concurrents sont apparus sur le marché au cours des années soixante-dix / quatre-vingt, aucun d'eux ne l'a supplantée dans le coeur des gens.
Si on connaît bien la collection, en revanche on connaît moins son histoire. Et son histoire est celle d'une vieille dame de plus de cent cinquante ans d'existence. Une histoire longue et passionnante pleine d'anecdotes étonnantes. Je propose de vous la raconter aujourd'hui.

Louis Hachette
Si on dit que les voyages forment la jeunesse, vous allez voir que les voyages forment aussi la littérature jeunesse.
En 1852, Louis Hachette est un ex-libraire devenu éditeur heureux dans ses ambitions lorsqu'il rencontre le non moins heureux Comte de Ségur qui est, lui, Président des chemins de fer de l'est français. Outre une sympathie sincère et spontanée, des intérêts mutuels vont rapprocher ces deux hommes d'affaire à l'instinct affuté.
Louis Hachette est devenu en vingt ans l'éditeur incontournable de manuels scolaires et universitaires grâce à sa position géographique dans le quartier des écoles à Paris et à de nombreux appuis politiques.


Comte de Ségur
Le Comte de Ségur est un des Directeurs de la Société des Chemins de Fer oeuvrant dans le développement du réseau ferré et participant en cela à une révolution, la mobilité accrue des français ouvrant mille perspectives économiques et sociétales. 
Le premier, qui cherche à développer son empire et à se diriger vers une littérature de loisirs, pense alors que le livre, conçu de manière pratique et solide, pourrait bien être un passe-temps prisé par ces voyageurs de plus en plus nombreux. 
À l'occasion d'un voyage en Angleterre il a pu apprécier l'initiative d'un certain William Henry Smith qui a installé dans toutes les grandes gares anglaises des kiosques vendant des journaux et des livres aux voyageurs pressés. De retour en France il s'emploie à obtenir les licences, non sans difficultés, pour proposer le même service. 
Le Comte de Ségur fait partie de ses appuis. Son intérêt est professionnel mais aussi personnel. S'il voit bien qu'un service supplémentaire à ses usagers peut servir à améliorer l'image des chemins de fer en terme de confort, il pense aussi que son épouse, la Comtesse de Ségur, pourrait bien trouver là une maison d'édition qui consentirait à publier les nombreuses histoires qu'elle s'est mise à griffonner au fil des naissances de ses petits-enfants et spécialement inventées pour eux ( elle publie son premier livre à 56 ans).
Un des premiers relay
Louis Hachette lance donc ses premiers kiosques et y propose sa bibliothèque des chemins de fer identifiable entre toutes par ses petites dimensions et surtout ses six colories permettant de distinguer les collections. 
La colorie rose est choisie pour identifier la collection réservée aux enfants qu'il faut bien occuper dans le train pour la tranquillité des autres voyageurs. Rose couleur de l'innocence et de la pureté.

La Comtesse de Ségur
La Comtesse de Ségur va grandement participer à la popularité de cette collection nouvelle en l'alimentant régulièrement en histoires de petites filles modèles et autres nigauds qui font très vite le régal des enfants itinérants.
La bibliothèque rose illustrée a un style très XIX ème siècle au départ avec une version de luxe à la couverture rigide et au tissu rouge, doré sur tranche, richement illustrée en intra et une version bon marché à couverture souple rosée sans illustrations.
Elle gardera ce physique près de cent ans. 
C'est seulement en 1958 que la bibliothèque rose est rebaptisée "nouvelle bibliothèque rose" et prend l'apparence que nous lui connaissons.
Il faut dire qu'après deux guerres mondiales, la production était en baisse. Si certains ont été tenté au début du XX ème siècle, de faire porter la responsabilité de cette désaffection culturelle à la bicyclette devenue nouvelle marotte préférée des enfants (les instituteurs n'hésitaient pas à dénoncer aux parents les effets dangereux de ce nouvel outil du Diable qui décérébrait leurs enfants), il faut se rendre à l'évidence, c'est surtout que le monde a beaucoup changé et les enfants ont d'autres envies, d'autres attirances. C'est encore plus vrai pour les baby-boomers.
Il fallut deux générations de dirigeants pour que la maison Hachette réalise qu'il fallait rajeunir son image et renouveler son catalogue, l'enrichir d'auteurs en phase avec leur temps.
Il faut dire que la place de l'enfant a beaucoup évolué en un siècle. La scolarisation obligatoire qui remonte au 28 mars 1882 assure pour tous une même éducation de base (même si cela mettra encore cinquante ans à devenir effectif) et participe à un éveil intellectuel de plus en plus précoce.
Edition 1960 - 1970


Edition 1856

Edition 1950


Edition 1930

Edition 1980



Edition 2012

Edition 2000

D'autre part, le regard des adultes a, lui aussi, changé. Les pédiatres et psychologues comme Françoise Dolto ont beaucoup participé à cela. L'enfant est considéré comme une personne et les mécanismes du passage à l'adolescence sont de plus en plus pris en compte dans le cursus pédagogique mais aussi dans la publicité qui commence à les prendre pour cible.


De nouveaux auteurs émergent qui ont bien compris ce qu'attend cette nouvelle génération de lecteurs.
Si la Comtesse de Ségur fut l'un des piliers fondateurs de la bibliothèques rose, Enid Blyton, auteur britannique très populaire outre-manche, va être l'emblème de son renouveau. A suivre...

jeudi 2 janvier 2014

2014 : et si on remontait le temps... !!!


Je vous souhaite au nom des M and P’s une bonne année 2014.
Nous espérons que vous serez toujours plus nombreux à suivre nos aventures et que vous partagerez nos rêves et nos rencontres au long de ces mois à venir.
Si depuis de nombreuses années maintenant la littérature jeunesse a pris un essor  considérable, il s’écoula plusieurs siècles avant que ce fut le cas.
Profitons de ces jours pluvieux et froids pour effectuer une petite rétrospective de la littérature jeunesse et voyons comment elle a évolué au gré du temps.

Au Moyen-âge, le seul livre sur lequel  les enfants pouvaient s’émerveiller et exercer leur imaginaire fut pendant des siècles la bible et ses enluminures, ses gravures  et ses histoires fantastiques. Toutefois c’était un détournement de son objectif principal puisque, bien sûr, la bible n’avait pas celui  de divertir ni de faire rêver, mais plutôt de former les esprits et de les fidéliser à la religion. De plus, seuls les enfants des riches familles pouvaient approcher ce type de livre.
Les enfants s’approprièrent d’autres livres comme le « Pantagruel » de Rabelais (1533) et les fables du fameux La fontaine (1660) qui étaient à l’origine des satires politiques à destination d’adultes à l’esprit séditieux.
Même les contes de Charles Perrault étaient issus de la grande tradition du conte oral et destinés à réjouir toute la famille pour les longues veillées au coin du feu.
Le premier livre écrit spécialement pour un enfant fut « Les aventures de Télémaque » (1699) de Fénelon, et pas n’importe quel enfant puisqu’il écrivit ces aventures spécialement pour le dauphin, petit fils de Louis XIV.
Puis au XVIIIème siècle Jeanne-Marie Leprince de Beaumont  conçut enfin des contes à destination des enfants dont le plus connu reste « La Belle et la Bête » (1757) toujours  aussi efficace si l’on en juge par le succès de la comédie musicale et du film actuellement à l’affiche.
Parallèlement, les enfants les plus favorisés, issus de la noblesse et qui ont seuls accès à l’éducation (surtout s’ils sont de l’espèce masculine), continuent de s’intéresser à des œuvres littéraires, récits d’aventure emprunts d’exotisme et souvent voyages initiatiques :   «Les Mille et une nuits » (1703), « Robinson Crusoë» (1719) de De Foe, « Les voyages de Gulliver » (1726) de Jonathan Swift et autres « Baron de Münchhausen » (1786).
La loi Guizot  (1833), qui  oblige chaque commune à avoir une école, va contribuer au développement d’une littérature à destination exclusive de la jeunesse.
Louis Hachette devient l’éditeur de manuels scolaires et éducatifs. Vers 1850, il va étendre ses publications à des œuvres de loisir. Il profite du développement du chemin de fer et de la banalisation du voyage pour créer des collections de livres à destination des voyageurs. La plus connue et toujours en kiosque aujourd’hui : la bibliothèque rose, première collection destinée aux enfants.
Le prochain article abordera plus spécifiquement l’histoire de cette collection illustre.

samedi 21 décembre 2013

Du bon côté de la vitre

Et voici revenu le temps des sapins odorants, des guirlandes et des boules scintillantes, des pères Noël suspendus vaillamment à nos cheminées ! 
Nous revoilà à ralentir le pas pour admirer des buches alléchantes à travers une vitrine bien éclairée, alors que nous nous empressons, bien emmitouflés dans un gros manteau moelleux et une grosse écharpe de laine, de regagner notre foyer bien chauffé. 
C'est aussi la période où on arrache un sourire plus facilement à celui qu'on croise sur une musique de Noël, une œillade sympathique à ceux qu'on retrouve autour du réchaud du vendeur de marrons, une parole bienveillante à celui qui nous heurte aussi encombré que nous de paquets cadeaux . 



Noël réunit. Noël fédère. Noël rend heureux. Une émotion particulière nait de cette fête. 
Mais qu'est-ce qui fait cet esprit de Noël ? Qu'est-ce qui fait cette ambiance si spécifique ?
Pour certains c'est ce moment où l'on ressort du grenier ce carton empoussiéré qui, à peine son couvercle rabattu, illumine de tout son contenu la salle à manger familiale, ou ce moment magique où l'on branche la guirlande électrique qui donne des couleurs à l'hiver sombre. 



Ou bien les découpages et autres décorations faites maison avec la complicité de maman.
Ou encore ces cavalcades dans la campagne gelée ou enneigée, avec frères et sœurs, pour la cueillette du gui ou le ramassage de mousse qui serviront à embellir la table. 
Pour d'autres c'est le plaisir d'un repas extraordinaire à partager en famille, l'exploration fiévreuse des magasins pour dégoter le cadeau qui conviendra parfaitement à chacun. 
Cela peut être aussi ce moment où on épie le ciel étoilé ou neigeux pour apercevoir l'étrange attelage, ces moments interdits où, l'oreille collée à la porte de la chambre, on guette le moindre bruit suspect dans la maison endormie, désireux de surprendre le gros bonhomme bienfaisant.
J'en connais même pour qui l'esprit de Noël c'est un vieux vinyle crépitant qui fait retentir la voix chevrotante de Tino Rossi à la lumière d'un candélabre.
Oui, je crois que l'esprit de Noël c'est ce moment où chacun retrouve sa part d'innocence et où petits et grands sont unis autour du même rêve.
Je dois vous avouer que, pour ma part, mon plaisir est toujours modéré car je pense toujours à la petite vendeuse d'allumettes. C'est une vieille histoire de Hans Christian Andersen qui m'a beaucoup ému. 
Lorsque je remets mes cadeaux et reçois les miens en serrant très fort mes proches dans mes bras, j'ai toujours l'impression de voir son petit visage blafard à travers la buée des carreaux. 


Et je me dis que si le véritable esprit de Noël est de pouvoir offrir à chacun l'occasion de s'échapper de soi, de redevenir un enfant, de croire à nouveau et de partager, chacun devrait pouvoir recueillir quelques instants une petite fille aux allumettes.
Si à chaque Noël je peux ainsi maintenir la flamme de l'espoir dans les yeux de cette petite fille alors je me dirai que ce 24 décembre n'est pas inutile car il aura peut-être réchauffé son cœur pour tout un hiver.

mercredi 20 novembre 2013

Récit d'un drame familial

Figurez-vous qu'il est des drames familiaux réparables. Je viens d'en vivre un récemment que je tenais à partager avec vous.
J'ai une mère qui aime les armoires bien rangées et les maisons propres, il n'y a qu'à voir ses piles de linge rangées au carré dans sa penderie qui feraient douter que le militaire de la maison ce fut papa.
Or, à l'occasion d'un de ces après-midi brumeux automnales où son plumeau frétillait d'entrer en action, elle entreprit de ranger les chambres de la mansarde qui accueillent encore parfois les enfants sûrement ingrats que nous sommes. Elle commença par les tiroirs des tables de nuit parce qu'il faut bien commencer par quelque chose.
Ces tiroirs sont ceux que nous avons souvent explorés alors que nous étions encore baveux ou boutonneux et ils ont continué à être actionnés fiévreusement par la génération suivante tout aussi baveuse et boutonneuse que nous l'avions été.
Pourquoi ces tiroirs ont-ils été si souvent explorés me direz-vous et fonctionnent encore après tant d'années ?
Je répondrai à la première interrogation que c'était les tiroirs aux contes et aux histoires merveilleuses et à la seconde que Ikea n'existait pas encore a l'époque et que l'industrie du meuble savait encore faire du durable... Mais c'est un autre débat...
Figurez-vous que maman a dû trouver ces tiroirs plus jolis vides puisqu'elle entreprit, sans convoquer le conseil de famille, de les vider illico et de glisser tous ces billets gratuits pour voyage merveilleux dans des vieux cartons aux armes d'un chasseur de rêves adverse.
A l'occasion d'un des rares week-end où je me rappelle avoir des parents, tombant par hasard sur le nouveau vide créé par la ménagère consciencieuse, je me penchai un brin  halluciné  sur le tiroir et lançai un "allo !?" dont l'écho Nabillesque résonne encore cruellement à mes oreilles (matraquage télévisuelle efficace). Non mais je rêve : tous mes bouquins d'enfant envolés !! Volatilisés ! Supprimés ! Je regarde d'un peu plus près, croyant comme les enfants du monde de Narna qu'un double fond va se révéler à mes yeux et me permettre de repartir au pays des rêves. A moins qu'ils n'aient pris la fille de l'air comme le soulier de la vieille Marie-Rose... Mais je dois me rendre à l'évidence : plus de Mowgli, plus de Peter Pan, plus de vache Roussette, ni de Pouf le chat bleu et de gros ours Grognon.
Tous enlevés !
Encore un coup du capitaine Crochet.
Mais ce jour là mon capitaine Crochet à moi c'est ma mère qui a bien toujours sa main droite, elle, bien que je ne la distingue plus très bien de son plumeau magique, et s'étonne que je m'émeuve de la disparition de mes compagnons de lecture.
- Qu'est-ce que t'en aurais fait à ton âge ? Me dit-elle d'un ton désinvolte.
D'autres auraient été pris au dépourvu par la question à demi soupçonneuse.
Pas moi.
J'ai toujours assumé mon côté enfant et l'ai entretenu soigneusement (inconsidérément diront d'autres). Elle ne se rend pas compte qu'elle vient de me barboter ma poussière de fée, mon élixir de jeunesse, ma madeleine disneyenne. Elle vient de couper le haricot magique qui me menait droit au pays des Géants.


 Je lui réponds tout de go :
- J'aurais continué à rêver. C'est le patrimoine familial. Mes souvenirs.
J'ai l'impression que la société du virtuel, l'esprit kleenex ont pris possession de ma pauvre maman mais n'ai pas le cœur à l'exorciser pour le moment, tout dépité que je suis.
Comment lui dire que c'est un morceau d'elle-même, de moi, de nous, qu'elle vient de jeter négligemment aux orties ?
Comment lui dire qu'en ouvrant chacun de ces livres, qu'en en feuilletant les pages renaissaient plus vivement ma petite chambre et son papier peint aux images du livre de la jungle, que j'entendais de nouveau plus présente sa voix douce et tendre qui me faisait frémir aux mots d'OGRE et de LOUP ou me rassurait sur le sort des sept chevreaux ou du chaperon rouge (eh oui dans ce monde tout finit toujours bien et on renait avec seulement quelques traces de suc gastrique sur sa capeline rouge) ?
Comment lui dire qu'avec ces livres je revoyais plus ardemment ses yeux protecteurs et attendris se poser sur moi en même temps qu'elle remontait la couverture jusqu'à mon menton ou pendant que je buvais mon petit verre d'eau sucrée pour passer une bonne nuit (quelle vessie j'avais en ce temps là !!) ?
Oui, comment lui dire que ces livres c'est sa main douce et chaleureuse sur ma joue, les dizaines de petits yeux de mes ours en peluches installés en rang d'oignons au bout de mon lit sous le halo jaune de ma lampe de chevet ?


 Comprendrait-elle que l'homme de quarante ans à la barbe hirsute et aux pattes d'oie, qui aujourd'hui la regarde effaré, fait encore équipe avec le petit garçon qu'il fut hier, à la vie à la mort ?
Elle finit par me répondre qu'elle les a donnés. A qui ? Une association ? Des gens malheureux qui n'ont pas accès à la culture ?
Mon cœur est soulagé.La méchante reine au miroir n'a pas ensorcelé maman. C'est sa générosité qui lui a fait commettre cette erreur.
Disons aussi à sa décharge qu'elle est maintenant davantage grand-maman et que ces souvenirs ont sûrement été remplacés par ceux plus récents de la félicité apportée par ses petits enfants à qui elle a dû raconter ces mêmes histoires. Comment lui en vouloir d'avoir oublié ce petit garçon rêveur jamais rassasié de ses talents de conteuse ?
Elle vit avec son temps. Je crains soudain de la trouver un jour aux manettes d'un jeu en wi-fi, occupée à trucider des personnages de conte, bons ou méchants, car , en 2013, il n'y a plus de différence entre les uns et les autres. Le cynisme ambiant veut que la naïveté et l'innocence soient montrées du doigt comme des tares absolues à éradiquer. Mais je ne peux accepter qu'elle s'installe dans ma mémoire, dans ma chambre d'enfant, vêtue désormais d'un treillis, la mitraillette en bandoulière !!
Je dois sauver le soldat maman et retrouver ces livres afin qu'elle se souvienne. Je dois retrouver mes racines d'auteur.


Comme je suis plutôt du genre à voir le verre à moitié plein,  rassuré que ces livres, s'ils avaient changé de famille, puissent continuer à remplir leur fonction, je passai donc à la solution.
Comment reconstituer mon trésor ?
Priceminister.
Ce site de vente d'occasion à l'instar de ebay et du boncoin permet d'acheter à prix bas et de revendre ce dont vous n'avez plus besoin. Une nouvelle manière de consommer. Mais il permet aussi de retrouver des livres anciens, des raretés. Heureusement je sais exactement le visage des disparus et leur titre (pas toujours exact car j'ai quand même la mémoire qui flanche) et parvient à tous les retrouver sur le site. Je viens aujourd'hui de recevoir le septième récupéré. M'en reste autant à accueillir.
Quand ils arrivent dans ma boîte à lettres, j'ai l'impression de retrouver de vieux amis, des parents perdus de vue. Mon tiroir magique se reconstitue peu à peu.
Je l'annonce triomphant à maman qui considère d'un œil circonspect cette nouvelle fantaisie de son grand gamin et me dit :
- Qu'est-ce que ça change ? Tu les connaissais par coeur de toute façon... Et puis maintenant c'est toi qui les raconte les histoires.
Alors là, pour le coup, je suis désarçonné.
Je me rends compte que, s'il est important de se souvenir d'où l'on vient, ce que ce passé a fait de nous à l'instant présent est tout aussi précieux, et que bien des choses restent encore à accomplir.
Maman, d'une simple phrase, vient de poser son plumeau exterminateur pour m'introniser auteur, et c'est pour moi la plus belle des légitimités.
Une maman aime naturellement ce que vous fûtes, ce que vous êtes et ce que vous serez et ne souhaite rien de plus que de vous voir marcher tout seul, toujours droit devant, avec la confiance et l'assurance d'un homme fait homme.
Maman je t'aime.